"La Cage aux folles", phénomène tout public

Grand Format

AFP - Mario Tursi

Introduction

Le film de Jean Poiret avec Michel Serrault et Ugo Tognazzi, sorti en 1978, raconte une histoire d'homosexualité, de cabaret et d’amour. Décryptage d'un classique du cinéma traitant d'une homosexualité décomplexée.

Serrault et Poiret

Michel Serrault est entré dans le monde du spectacle par l’intermédiaire des cabarets parisiens. C’est là qu’il monte sur scène avec Jean Poiret qu’il a rencontré en 1952 à une audition des matinées classiques du Théâtre Sarah-Bernhardt. Ils se font connaître en interprétant ensemble le sketch "Jerry Scott, vedette internationale", dont la première représentation a lieu le 11 janvier 1953.

Jean Poiret (à gauche) et Michel Serrault au théâtre à Paris en 1954. [AFP - Lipnitzki]
Jean Poiret (à gauche) et Michel Serrault au théâtre à Paris en 1954. [AFP - Lipnitzki]

C’est aussi le moment où Michel Serrault débute au cinéma, notamment dans "Les Diaboliques" d’Henri-Georges Clouzot. Dire que les deux hommes deviennent copains comme cochon au premier regard est un pléonasme. En fait, ce se sont des âmes sœurs qui se sont trouvées.

Et ce sont ces deux princes de l’humour qui assistent un soir de novembre 1967 à la première de "L’Escalier", une pièce de Charles Dyer racontant les tourments d’un couple homosexuel vieillissant. Après le spectacle, ils réfléchissent à une pièce similaire mais traitée en franche comédie. En 1967 Serrault et Poiret sont bien occupés par le théâtre et le cinéma et le projet est mis en attente. Régulièrement, quand ils se voient, ils en discutent, mais rien de concret.

Il faudra toute la persuasion et l’insistance de Jean-Michel Rouzière, directeur du théâtre du Palais-Royal, qui connaît le talent de Poiret pour l’écriture et de Serrault pour l’interprétation, pour que les choses démarrent vraiment.

La pièce

En 1972, Poiret montre ses écrits à Michel Serrault. L’argument de la pièce est connu. Georges et Albin forment un ménage et tiennent une boîte de travestis à Saint-Tropez qui s'appelle La Cage aux folles. Albin est, sous le pseudonyme de Zaza Napoli, la vedette du spectacle.

Comme toutes les stars, elle est capricieuse, un peu jalouse, excentrique. Lorsque surgit le fils que Georges a eu jadis dans un moment d’égarement, et que celui-ci s’apprête à épouser la fille d’un politicien qui ne rigole pas avec les bonnes mœurs, les ennuis commencent.

>>Un reportage sur la pièce de théâtre "La cage aux folles" (Archives INA):

"La cage aux folles" vaut à Poiret et à sa Zaza préférée le Prix des Humoristes en juin 1973. Le succès attire bientôt les producteurs étrangers. On doit monter la pièce en Italie, en Allemagne, en Argentine, au Venezuela. La pièce est également annoncée à Broadway.

Poiret, qui était jusqu’alors honorablement connu dans les milieux du spectacle, devient un personnage de la scène parisienne. Le succès de la pièce a fait de lui un auteur courtisé, sur lequel on sait pouvoir compter pour remplir les salles. Quant à Michel Serrault, il devient tout simplement une star.

En 1977, Jean Poiret, rattrapé par des ennuis de santé passe à autre chose. C’est là qu’il commence à adapter "La Cage aux folles" pour le cinéma.

>> Réactions de la communauté homosexuelle:

La pièce s'est jouée à guichets fermés pendant des années et a le mérite, en 1973, de traiter d’une homosexualité décomplexée, exposée au grand jour.

En prenant l’homosexualité comme argument, Poiret met brutalement sur la table la vie d’hommes et de femmes restés dans l’ombre.

La République pompidolienne finissante a réussi à maintenir sur les mœurs des Français un couvercle pudique que mai 68 n’avait fait qu’ébranler.

"La Cage aux folles" est mal reçue par la communauté homosexuelle. Certains y voient une attaque contre une minorité. Les plus militants attendent Poiret à la sortie du théâtre, bien décidés à laver l’affront.

Agacé des réactions négatives, Poiret, qui a toujours fait preuve d'ouverture, se défend d’avoir écrit une pièce homophobe. Il fait savoir par voie de presse qu’il a voulu montrer un couple normal, avec les mêmes problèmes que les autres couples.

"La cage aux folles" est en effet un exutoire qui permet un rire franc dont tout le monde a besoin. Et relativement vite, les esprits s’apaisent.

"J’ai joué la Cage pendant cinq ans, soit près de 1500 fois. Sans aucune lassitude. Jamais. Parce que chaque jour, je commençais quelque chose de nouveau et que c’est un peu ma philosophie dans l’existence."

Michel Serrault

Consécration de Michel Serrault

Le triomphe de "La cage aux Folles" est aussi la consécration de Michel Serrault. Ceux qui doutaient encore de l’étendue de son talent découvrent un immense comédien. Poiret a écrit pour son partenaire un rôle spectaculaire et Serrault le joue dans la démesure et l’énormité. Piaillant, gloussant, minaudant la biscotte à la main, fondant en larmes l’instant d’après.

>>Michel Serrault évoque son rôle de Zaza au théâtre:

"J’avais énormément travaillé mon rôle, car jouer un homosexuel en complet veston pendant un quart d’heure dans un sketch était une chose, jouer une folle avec perruque bouclée, colifichets et sautes d’humeur dans La Cage était une autre. En même temps que mes costumes, j’avais essayé plusieurs compositions pour ma voix. J’avais trouvé une assez bonne solution qui consistait en de brusques envolées dans l’aigu, préférables à une voix de fausset en permanence. L’extravagance du personnage de Zaza autorisait ces saisissants crescendos qui marquaient la surprise, la colère ou la joie et soulignaient mieux la démesure que ne l’aurait fait une voix de bout en bout affectée. J’usais aussi d’accents de préciosité déjà éprouvés dans les sketchs.

J’ai fait pour le personnage d’Albin-Zaza, ce que j’ai fait pour tous ceux qu’il m’a été donné de jouer. Je lui ai cherché une vérité. Il n’était pas question de se vautrer dans une farce épaisse et vulgaire. Qui était-il, cet Albin, homo vieillissant, travesti dont la gloire pâlissait, qui vivait dans le luxe et les belles choses, mais qui attendait anxieusement qu’on l’aime (que Georges continue de l’aimer, s’entend) et que le public lui soit toujours fidèle.

J’avais à nourrir d’humanité ma chère Zaza, et à la jouer suivant les plus nobles principes des grands clowns. Atteindre le point d’équilibre entre le rire et l’émotion permettaient de soulever le voile: ce qui se cachait sous le rire, c’était bien le début de la détresse d’un couple. La Cage me comblait à cet égard, puisque, par le truchement du divertissement, de la gratuité, c’est-à-dire le rire pour le rire, la pièce prouvait qu’on pouvait être profond et grave et surtout que l’ennui au théâtre est un mal nécessaire."

Adaptation au cinéma

C'est l'Italien Marcello Danon qui obtient les droits de la pièce en 1977. "La Cage aux folles" sera donc une coproduction franco-italienne, ce qui signifie que l’un des deux comédiens français devra céder sa place. Poiret n’hésite pas une seconde. Il a écrit le rôle de Zaza pour Serrault.

Pour remplacer Poiret, on engage Ugo Tognazzi, pilier de la comédie italienne des années septante. Il jouera le rôle de George, devenu Renato au cinéma.

Michel Serrault et Ugo Tognazzi dans "La Cage aux folles". [AFP - Mario Tursi]
Michel Serrault et Ugo Tognazzi dans "La Cage aux folles". [AFP - Mario Tursi]

Edouard Molinaro réalise le film, mais suggère que Jean Poiret écrive l’adaptation de sa pièce avec lui. Le travail est éprouvant. "L’enthousiasme initial de Jean se dégradait à mesure qu’il prenait conscience de la spécificité de l’adaptation cinématographique, qui n’avait rien à voir avec l’écriture d’une pièce de théâtre. De mon côté, je découvrais jour après jour la fragilité de Jean et son extrême sensibilité. Notre collaboration prit fin le jour où il me déclara en pleurant (il pleurait vraiment) qu’il n’y arriverait jamais…"

Molinaro reprend alors le travail avec Francis Veber. "Il me faut reconnaître ici l’acharnement du travail de Veber. Je n’ai jamais connu d’auteur capable, comme lui, de souffrir des mois entiers sur un texte avant d’être certain de son efficacité." Le scénario est enfin terminé et accepté ; le tournage peut commencer à Rome, aux studios de Cinecittà.

>>L'émission "Travelling" du 2 juillet 2017 consacré à "La Cage aux folles:

Michel Serrault et Ugo Tognazzi dans "La cage aux folles", d'Edouard Molinaro.
Archives du 7eme Art/Photo12
AFP [AFP - Archives du 7eme Art/Photo12]AFP - Archives du 7eme Art/Photo12
Travelling - Publié le 2 juillet 2017

Le tournage

Avec Ugo Tognazzi qui joue le rôle de Renato, l’entente est parfaite. Serrault nous dit: "Ugo avait bien vu, dès le départ, que le rôle que tenait Jean dans la pièce n’était pas le plus excentrique. Le personnage qui allait faire de l’effet restait Zaza Napoli, ses crises de jalousie et ses colliers de perles. Ugo Tognazzi avait compris que ça ne marcherait jamais si son personnage voulait rivaliser avec le mien. Ugo n’avait pas de jalousie, et avait en plus un désir de s’amuser, un plaisir de jouer et il fit de Renato un très beau meneur de jeu".

Francis Veber livre un autre son de cloche du tournage de "La Cage aux folles". Il semblerait que très vite, l’acteur italien refuse de jouer en français:

"Il s’y était engagé par contrat, raconte Veber, mais voyant à quel point Serrault était prodigieux dans son rôle, il décida de lui donner la réplique en italien. Cela posa un double problème, au tournage d’abord, au doublage ensuite. Serrault ne parlant pas italien, il devait guetter le dernier mot de la réplique de Tognazzi pour enchaîner. Et Tognazzi, soit par perversité, soit parce qu’il savait mal son texte, changeait souvent ce dernier mot. S’il devait dire "marmelade", il disait "confiture" et Serrault se mettait à patauger."

Molinaro tente un jour de le raisonner, lui expliquant que son attitude n’aide ni son partenaire, ni son metteur en scène. Tognazzi entre dans une colère noire et, jusqu’à la fin du tournage, fait régner une ambiance d’affrontement, comme s’en souvient Francis Veber.

"Pendant des semaines, il arrivait sur le plateau et injuriait Molinaro devant toute l’équipe. À l’italienne, hurlant, arrachant des pages du script, s’attrapant les couilles à pleines mains, pour mieux montrer son mépris." Le cinéaste confirme que le tournage se terminera "sans que jamais l’ambiance du plateau ne retrouve un semblant de sérénité".

Dans cette ambiance délétère, Michel Serrault trouve du réconfort en la personne du chef opérateur Armando Nannuzi.

"Je jouais pour cet homme dont, à la fin des prises, j’apercevais les yeux plissés par le rire silencieux, avec parfois une petite larme de jubilation. Lorsque je n’étais pas satisfait de mon jeu, Armando le comprenait immédiatement et c’est lui-même qui me disait : "Tou vo pas le réfaire ? Pour moi…"

Le tournage s’achève au printemps 1978. Le film sort dans les salles le 25 octobre de la même année.

Sortie

L'affiche du film "La Cage aux folles". [DR]
L'affiche du film "La Cage aux folles". [DR]

Dès sa sortie en salle, le film pulvériser toutes les références comptables du cinéma français: 800'000 entrées à Paris en quelques semaines, 4'500'000 en France. Et le film s’exporte magnifiquement. Le nouveau couple Renato-Albin fait crouler de rire des dizaines de millions de spectateurs dans le monde.

Le film consacre surtout Michel Serrault comme un grand acteur de cinéma français. Jusque-là, il n’était qu’un bon second rôle. Avec "La cage aux folles", il devient une vedette. En Italie, il décroche le David di Donatello qui récompense le meilleur acteur et la profession lui décerne en France le César du meilleur acteur en 1979.

Accueilli avec condescendance aux Etats-Unis, le film rapportera plus de 10 millions de dollars en quelques mois et suscitera quelques vocations à Hollywood.

Subjugué par la performance de Serrault, Dustin Hoffman n’aura de cesse de vouloir jouer un travesti. Ce qu’il fera des années plus tard dans "Tootsie" de Sydney Pollack.

Le petit film de Molinaro croule bientôt sous les récompenses, plus grand succès jamais obtenu par un film français en Amérique, trois nominations aux Oscars, Globe d’or du meilleur film étranger. Cette fois, les Américains ont flairé l’odeur des dollars. Plusieurs fois annoncées, l’adaptation de la pièce est cette fois sérieusement envisagée. Ce sera chose faite par Mike Nichols en 1996 sous le titre de "Birdcage"

Devant le succès, logiquement "La Cage aux folles 2" sort en décembre 1980. Poiret, Veber et Molinaro inventent une suite à la pièce. Cinq ans plus tard, Molinaro cédera la même caméra à George Lautner pour une "Cage aux folles 3".

Crédits

Sources:

- Dominique Chabrol, Jean Poiret, "L’art d’en rire, biographie", Belfond, 1999

- "Michel Serrault, Vous avez dit Serrault? Autobiographie", édition Florent Massot, Pocket, 2001

- Michel Galabru, "Trois petits tours et puis s’en vont…", Flammarion, 2002

Proposition et texte: Catherine Fattebert

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente

juillet 2017

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