Le film "Midnight in Paris" de Woody Allen a ouvert les feux. [Joel Ryan]
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Woody Allen en 10 personnages

Le 69è festival de Cannes a projeté en ouverture et hors compétition, le nouveau Woody Allen, "Café Society". L'occasion de revenir sur son oeuvre à travers dix archétypes récurrents. Dix personnages féminins et masculins qui incarnent chacun à leur manière la philosophie du cinéaste new-yorkais.

NOTRE QUIZ

Quel personnage de Woody Allen êtes-vous?

LA FEMME LIBRE

Annie Hall dans "Annie Hall"

Cheveux lisses, chapeaux mous, chemises, gilets, cravates, et pantalons. Annie Hall flotte dans ses tenues de garçonne trop larges. Parfois étourdie, volubile, débordante, elle s'affranchit de son mentor et finit par le dominer. Elle est résolument une femme libre, émancipée, autonome comme Diane Keaton (de son vrai nom Diane Hall) dans le cinéma de Woody Allen.

Diane Keaton et Woody Allen dans "Annie Hall". [AFP/Rollins Joffe Productions/Archives du 7eme Art/Photo12 - Rollins-Joffe Productions]
Diane Keaton et Woody Allen dans "Annie Hall". [AFP/Rollins Joffe Productions/Archives du 7eme Art/Photo12 - Rollins-Joffe Productions]

En racontant, deux ans après leur séparation, l’histoire d’amour fusionnelle qu’il vécut avec sa muse Diane Keaton, Woody Allen imagine une femme dont il voudrait être le Pygmalion, mais qui finit par échapper à son contrôle intellectuel. Un archétype que Diane Keaton illustre dans  "Woody et les robots" (1973).

LE FOU DU ROI

Boris Grushenko dans "Guerre et amour"

Sacrifier sa vie pour la patrie, bien peu pour Boris Grushenko! Un rien lâche, il use de son sens rhétorique pour se tirer des mauvais pas. Particulièrement insolent, il est malin et s'autorise volontiers à se moquer des plus puissants en amusant la galerie. Il n'a que faire de devenir un héros et ne souhaite qu’une seule chose : séduire la belle.

Woody Allen dans "Guerre et amour". [Kobal/The Picture Desk]
Woody Allen dans "Guerre et amour". [Kobal/The Picture Desk]

Au début de sa carrière de cinéaste, Woody Allen privilégie l’archétype du fou du roi dans lequel il se projette entièrement dans le premier sketch de « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe » (1972), « Bananas » (1971), « Woody et les robots » (1973). Un personnage burlesque qui s’affirme comme un cousin de Groucho Marx, l’acteur comique adulé par le cinéaste.

LA RÊVEUSE MÉLANCOLIQUE

Cécilia dans "La rose pourpre du Caire"

Cécilia fuit la banalité de sa vie et les désillusions de la réalité dans les salles de cinéma. Son plus grand rêve, c'est de changer de vie et que le personnage de son film-fétiche, "La rose pourpre du Caire", sorte de l’écran et tombe amoureux d'elle. Rêveuse mélancolique, introvertie, elle s'évade dans l’artifice de la fiction plutôt que d’affronter les difficultés de son  existence.

Mia Farrow dans "La rose pourpre du Caire". [AFP/Kobal/The Picture Desk]
Mia Farrow dans "La rose pourpre du Caire". [AFP/Kobal/The Picture Desk]

Interprétée par Mia Farrow, la seconde muse et épouse de Woody Allen après Diane Keaton (ils tourneront 13 films ensemble), Cécilia est le modèle de cette rêveuse mélancolique qui tranche avec la folie et l’exubérance de Keaton. Un archétype typiquement allénien qu’on retrouve dans "Radio Days" (1987), "Alice" (1990), "Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" (2010), ou "Minuit à Paris" (2011).

L'ARTISTE INCOMPRIS

Sandy Bates dans "Stardust Memories"

Réalisateur de comédies, Sandy Bates se rebelle pour préserver son intégrité artistique. Il refuse d’être perçu comme un simple amuseur de foule et veut exprimer, à travers son art, la souffrance de ses contemporains. Bref, entre ce qu'il fait et la façon dont il est perçu, il existe un gouffre qu'il cherche à surpasser.

Woody Allen est Sandy Bates dans "Stardust Memories". [Archives du 7eme Art/Photo12]
Woody Allen est Sandy Bates dans "Stardust Memories". [Archives du 7eme Art/Photo12]

Cinéastes, écrivains ou scénariste en crise permettent à Woody Allen de commenter ses affres créatives et ses relations tortueuses avec l’industrie. Un alter-ego décliné dans de nombreux films comme « Hollywood Ending » (2002),« Crimes et délits » (1989), « Manhattan » (1979), « Harry dans tous ses états » (1997), « Coups de feu sur Broadway » (1994) et l’imprésario raté de « Broadway Danny Rose » (1980).

LA BELLE INGÉNUE

Linda Ash dans "Maudite Aphrodite"

Tenues affriolantes et très dénudées. Linda Ash incarne un archétype très présent chez Woody Allen: la prostituée écervelée qui rêve de devenir actrice, mais ne tourne que  des films X. De prime abord assez stupide, Linda Ash ne se fait pourtant aucune illusion sur les hommes et se fiche éperdument du regard des autres.

Mira Sorvino interprète le rôle de Linda Ash dans "Maudite Aphrodite" de Woody Allen. [Collection Cinema/Photo12]
Mira Sorvino interprète le rôle de Linda Ash dans "Maudite Aphrodite" de Woody Allen. [Collection Cinema/Photo12]

La belle ingénue se décline en deux figures récurrentes chez Woody Allen. La prostituée, comme Charmaine Foxx dans "Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" (2010) ou Cookie dans "Harry dans tous ses états" (2009). Et la lolita naïve et inculte comme la jeune provinciale de "Whatever Works" (2009). La belle ingénue se révèle souvent bien plus maline et censée que les névrosés qui la fréquentent.

L'ANTIHÉROS TRAGIQUE

Judah Rosenthal dans "Crimes et délits"

Ophtalmologue réputé dont la vie sociale et maritale est menacée par sa maîtresse, qui ne supporte plus d’être mise à l’écart, Judah Rosenthal décide de la faire assassiner. Il restera impuni, mais rongé par la culpabilité. Son destin d'antihéros tragique et amoral semble tout droit sorti d’un roman de Dostoïevski.

Martin Landau dans "Crimes et délits". [Kobal/The Picture Desk]
Martin Landau dans "Crimes et délits". [Kobal/The Picture Desk]

Cette figure d’antihéros tragique se retrouve presque à l’identique dans « Match Point » (2005), dans lequel un jeune professeur de tennis de milieu modeste abat sa maîtresse pour ne pas mettre en danger son récent mariage avec une femme de la haute société. Autres assassins alléniens : les deux frères du « Rêve de Cassandre » (2007) et le prof de philosophie de « L’homme irrationnel » (2015).

LA BOURGEOISE EN CRISE

Jasmine Francis dans "Blue Jasmine"

Ruinée suite aux déboires judiciaires de son mari fortuné, Jasmine prend brutalement conscience de son vide existentiel. Elle remet toute sa vie en question et cherche par tous les moyens à retrouver son statut social. Elle supporte très mal de devoir vivre chez sa sœur Ginger à San Francisco. Jasmine est borderline, au bord de la crise de nerfs, à deux doigts de la dépression.

Cate Blanchett dans "Blue Jasmine". [Kobal/The Picture Desk]
Cate Blanchett dans "Blue Jasmine". [Kobal/The Picture Desk]

On retrouve d’autres exemples de bourgeoises en pleine tourmente dans "Une autre femme" (1988), "September" (1987) et "Alice" (1990), dans lequel une épouse trompée et insatisfaite développe une fascination obsessionnelle pour Mère Teresa. Autant de personnages féminins qui expriment une douloureuse quête de sens que leur statut social ne fait que brouiller.

LE TOURISTE

Gil Pender dans "Minuit à Paris"

Gil Pender porte sur l’Europe, sa culture et son mode de vie une vision enchantée, pour ne pas dire idéalisée. Né au mauvais endroit, au mauvais moment, il se sent à sa place dans le Paris artistique des années 1920, auprès de F. Scott Fitzgerald, Hemingway, ou T. S. Eliot. Après quelques jours passés à Londres, Rome, Paris ou Barcelone, le touriste serait prêt à tout quitter pour s'installer sur place.

Owen Wilson dans "Minuit à Paris". [Kobal/The Picture Desk]
Owen Wilson dans "Minuit à Paris". [Kobal/The Picture Desk]

Depuis "Match Point" (2005), Woody Allen a abondamment déplacé sa caméra hors des frontières new-yorkaises. Londres, Barcelone, Paris, Rome. Autant de destinations qui ont imposé l’archétype de l’Américain(e) en exil, touriste fantasmant la beauté de l’ailleurs et la douceur de vivre européenne comme dans "To Rome with love" (2012) et "Vicky Cristina Barcelona" (2008).

LA MÈRE CASTRATRICE

Sadie Millstein dans "New York Stories" (Le complot d’Œdipe)

Sa vie entière s’est focalisée sur ses enfants et elle fait tout pour leur bonheur, quitte à les étouffer par son amour possessif. Même si elle venait à disparaître lors d’un tour de magie, elle réapparaîtrait dans le ciel de New York pour continuer à scruter les moindres faits et gestes de son fils sans se gêner pour révéler à tous les détails les plus croustillants de sa vie intime et sexuelle.

Mia Farrow et Mae Questel dans "New York Stories (Le complot d'Oedipe)". [AFP/Universal Pictures/Archives du 7eme Art/Photo12 - Universal Pictures]
Mia Farrow et Mae Questel dans "New York Stories (Le complot d'Oedipe)". [AFP/Universal Pictures/Archives du 7eme Art/Photo12 - Universal Pictures]

Autant les pères, souvent démissionnaires et égoïstes, sont largement absents du cinéma de Woody Allen, autant les mères y occupent une place de poids. Dans "Intérieurs" (1978), une mère distante et manipulatrice écrase ses filles sous son autorité et son contrôle permanent. "Radio Days" (1987) met en scène une mère juive envahissante alors que "September" (1987)  impose une mère impertinente et sans tact.

LE MISANTHROPE

Boris Yelnikoff dans "Whatever Works"

Physicien cynique et désabusé, Boris Yelnikoff rate de peu le prix Nobel. Il plaque tout pour se retirer dans un appartement insalubre et passe ses journées à insulter ses semblables. Ses certitudes nihilistes sont toutefois ébranlées par sa relation amoureuse improbable avec une jeune provinciale perdue à New York.

Larry David joue Boris Yelnikoff dans "Whatever Works". [Archives du 7eme Art/Photo12]
Larry David joue Boris Yelnikoff dans "Whatever Works". [Archives du 7eme Art/Photo12]

Tel Boris Yelnikoff, l’illusionniste misanthrope de "Magic in the Moonlight" (2014) verra son scepticisme vaciller face au caractère peu rationnel, plus libre en sommes, d’une femme. On devine sans mal, sous ces personnages de misanthropes endurcis, tel l’artiste peintre de "Hannah et ses sœurs" (1986), une autocritique des propres travers de Woody Allen.

Crédits

Un décryptage de Rafael Wolf

Quiz Woody Allen: Rafael Wolf, Tybalt Félix et Frédéric Vergez

Edition: Miruna Coca-Cozma