Des filles "Vigousse"

Grand Format Exposition

Caro/Maison du dessin de presse à Morges

Introduction

La maison du dessin de presse à Morges rend hommage jusqu'au 20 mai à trois dessinatrices de presse, les Suissesses Bénédicte et Caro, et la Française Coco. Les trois travaillent pour le magazine satirique romand "Vigousse". Sous-titre de l'exposition: "des filles qui en ont dans le crayon".

Chapitre 1
Se battre avec des crayons

Les suites de l'avalanche #metoo par Caro [Caro/Maison du dessin de presse à Morges]
Les suites de l'avalanche #metoo par Caro [Caro/Maison du dessin de presse à Morges]

L’agressivité, la méchanceté, c’est mieux vu chez les hommes. On encourage peu les femmes à être méchantes. C’est pourtant un bel exutoire!

Bénédicte, dessinatrice

Un bel exutoire pour elles, et un véritable plaisir pour nous, lecteurs! La Maison du dessin de presse de Morges en témoigne jusqu'au 20 mai en mettant à l'honneur trois dessinatrices: les Suissesses Bénédicte et Caro, ainsi que la Française Coco. A chacune, il a été demandé de dessiner un "selfie" collectif qui rend compte de leur style et coup de crayon spécifique.

Les trois filles ont un point commun, leurs signatures figurent au sommaire du magazine satirique romand "Vigousse", depuis ses débuts, en 2009. Comme leurs confrères masculins, leurs regards peuvent être tour à tour acides, cruels, ravageurs, trash, vulgaires, ironiques, désopilants ou assassins. Il n'y a pas un style féminin qui serait reconnaissable au premier coup d'oeil. Aucune ne dessine avec un crayon rose et une gomme Hello Kitty.

Et si Coco se laisse parfois aller aux pastels, en dessinant des licornes ou des Bisounours, c'est pour être encore plus vache le coup d'après.

Dessin de Coco à propos des voeux du pape [Coco/Maison de la presse Morges]
Dessin de Coco à propos des voeux du pape [Coco/Maison de la presse Morges]

Chapitre 2
Manque de modèle

Bénédicte/Maison du dessin de presse

Pendant longtemps, dans le monde francophone, il n'y a eu que Claire Brétécher - et un peu Annie Goetzinger. Si l'auteure des "Frustrés" et d'"Agrippine" n'a pas eu d'héritière directe, sinon Hélène Bruller, elle a en revanche une kyrielle de petites filles. Longtemps chasse gardée des hommes, le monde de la BD, de la caricature et du dessin de presse est désormais ouvert aux femmes.

>>> A écouter l'interview de Bénédicte et Caro:

Affiche dessinée par Bénédicte. [Bénédicte/Maison du dessin de presse]Bénédicte/Maison du dessin de presse
Vertigo - Publié le 20 mars 2018

"Les dessinateurs de presse ont-ils un sexe? Oui, masculin et macho!", dit Thierry Barrigue, dessinateur de presse depuis près de 50 ans. Quand il a lancé "Vigousse", il y a neuf ans, il a tout de suite publié les dessins de Caro, Bénédicte et même Coco, qui a oeuvré dans le magazine satirique romand avant d'être une des signatures phare de "Charlie Hebdo".

La gêne est désormais masculine

Leurs crayons sont peut-être même plus libres aujourd'hui que ceux des hommes qui marchent sur des oeufs quand il s'agit d'évoquer la vague #metoo, de dénoncer le sexisme ou d'aborder les questions sexuelles. La gêne est désormais de leur côté. Et Caro de s'amuser de ce retour de manivelle:

Si je dessine une blonde à grosse poitrine, on ne criera pas immédiatement à la misogynie

Caro, dessinatrice

Elle a raison, on pensera d'abord à une déconstruction de stéréotype, à une attaque oblique des hommes qui en ont fait un archétype ou à une forme d'autodérision. Un humour à double détente en quelque sorte. Le dessin y gagne en interprétations; sa lecture en est plus riche. 

Chapitre 3
Qui sont-elles?

Coco/Maison du dessin de presse à Morges

Bénédicte en noir et blanc

Elle est Lausannoise et c'est le regretté Mix et Remix qui l'encourage en 2006 à lui proposer des dessins pour un journal qu'il vient de lancer, "1er degré". Deux numéros papier seulement seront publiés, mais le blog du journal demeure, et Bénédicte envoie régulièrement ses dessins. C'est ainsi que Thierry Barrigue la remarque et l'invite dans l'aventure de "Vigousse".

En 2011, cette fille qui s'est formée à l'école de BD de Bruxelles devient la dessinatrice attitrée du "Courrier". En 2014, elle reprend, avec Valott, la place laissée vacante par Burki à "24 Heures". Ses dessins sont régulièrement publiés par "Le Courrier international"

L'éternel Federer vu par Bénédicte [Bénédicte/Maison du dessin de presse, à Morges]
L'éternel Federer vu par Bénédicte [Bénédicte/Maison du dessin de presse, à Morges]

Bénédicte a trouvé son personnage à gros nez qu'elle décline dans ses dessins et ses strips toujours en noir et blanc, avec parfois une touche de couleur qui renforce le propos. Ses modèles sont Lewis Trondheim et Crumb. Elle aime le trait de Brétécher et l'humour absurde de Sempé, Garry Larson et bien sûr Mix et Remix.

"L'élégance de ses procédés comique et de son style épuré me fait penser au cinéma de Jacques Tati. Il y a de la tendresse et beaucoup de profondeur derrière l'éclat de rire", explique Stéphane Babey, actuel rédacteur en chef de "Vigousse".

Caro, la fausse rondeur

Elle a le même âge que Bénédicte, 46 ans, et comme elle a toujours gribouillé. A 14 ans, elle tombe malade et passe ses journées à dessiner. Elle veut en faire son métier mais ses parents lui recommande d'en faire un vrai: elle suit des études de graphisme à l'Ecole d'arts visuels. Pendant ses études, elle aborde le dessin dit de presse en allant dessiner dans les tribunaux. Les avocats adorent et lui achètent ses originaux. Elle fourbit ses premières armes au "Bieler Tagblatt" en 1996, puis l'année suivante au "Journal du Jura". Au fil des ans, elle a accentué la couleur et la rondeur de ses personnages féminins qu'elle ose dénuder. Elle préfère "provoquer que choquer". Elle adore dessiner en direct.

"Caro a un trait assez doux et rond, très BD. Parmi les satiristes de "Vigousse", c'est sans doute celle dont le travail est le plus cartoonesque. Mais cette rondeur n'est qu'un leurre pour détourner l'attention tandis qu'elle frappe avec des idées fortes en prenant le spectateur par surprise. Cette apparente candeur lui permet de pousser le bouchon très loin", selon Stéphane Babey.

Caro à propos du cynisme de Bachar el-Assad [Caro/Maison de la presse]
Caro à propos du cynisme de Bachar el-Assad [Caro/Maison de la presse]

Chapitre 4
Coco, la survivante de Charlie

Michael Bunel/apf - Michael Bunel/

C'est la plus jeune des trois. Corinne Rey est née en 1982 en France voisine. Elle a fait ses débuts à "Vigousse" en 2009, en signant la première couverture du petit hebdo satirique. "C'était au moment où le MCG parlait de la "racaille" d'Annemasse qui venait voler le boulot des Genevois que j'ai postulé en tant que "racaille d'Annemasse", et cela a plu à Barrigue".

Voilà à quoi ressemble un skieur suisse perdant selon Coco [Coco7Maison du dessin de presse à Morges]
Voilà à quoi ressemble un skieur suisse perdant selon Coco [Coco7Maison du dessin de presse à Morges]

Diplômée d'arts plastiques à l'Ecole européenne supérieure de l'image de Poitiers, avec félicitations du jury, Coco collabore rapidement à plusieurs magazines, dont "Les Inrocks" et "Charlie Hbedo", dont elle est une des rares survivantes alors qu'elle se trouvait dans les locaux au moment du massacre. Elle continue de publier dans l'hebdomadaire et après les attentats de novembre 2015, elle signe le dessin de couverture, intitulé "Ils ont les armes, on les emmerde, on a le champagne".

Le crayon compulsif

Coco est connue pour dessiner tout le temps et partout, même sur les vitres. Elle fait partie des chroniqueurs de l'émission "28 minutes" sur Arte, où elle intervient en direct. Dans l'esprit de Luz et de Charb, elle est féroce, rentre-dedans et souvent outrancière. Mais cette fan de Gaston Lagaffe est aussi très espiègle. Et même si elle est Savoyarde, elle déteste la fondue.