La Suisse, pays de geeks

Grand Format

Keystone - Laurent Gilliéron

Introduction

Alors que son patrimoine informatique, conservé au Musée Bolo, est menacé, petit retour sur l’histoire commune du numérique et de la Suisse, pionnière depuis les années 60.

Des Helvètes parmi les pionniers

Effectivement, à l’époque où il fallait encore une brouette pour déplacer un ordinateur et une armoire pour le ranger, la Suisse était plutôt avant-gardiste dans le domaine. En 1956, l’Ecole polytechnique de Zurich finalise ainsi l’une des premières machines européennes, en cours de conception depuis 1948 : l’ERMETH (pour "Elektronische Rechenmaschine der ETH").

Moins de dix ans plus tard, Lausanne expose la Cora I à l’occasion de l’Expo 64. Une machine développée en Suisse par le Hongrois Peter Toth et qui, avant de dessiner le château de Thoune sous les yeux des visiteurs de l’exposition nationale, était utile à l’armée suisse pour piloter son système de défense anti-aérienne.

La Cora I et son créateur, Peter Toth. Une machine 100% suisse présentée lors de l'Expo 64. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
La Cora I et son créateur, Peter Toth. Une machine 100% suisse présentée lors de l'Expo 64. [Keystone - Jean-Christophe Bott]

C’est même un Vaudois, Jean-Daniel Nicoud, qui développe au Laboratoire en micro-informatique de l’EPFL (le LAMI) l’un des tout premiers ordinateurs portables – ou "micro-ordinateur" à l’époque. Le Smaky, contraction de Smart Keyboard, voit ainsi le jour quelques années avant la commercialisation de l’Apple I, sorti du garage de Steve Jobs en 1976.

>> A voir: La "Minute Nouvo" sur le Smaky :

Le Smaky, premier ordinateur fabriqué et commercialisé en Suisse romande
RTSculture - Publié le 3 juillet 2017

En 1974, le même Jean-Daniel Nicoud construit les premières souris informatiques suisses, après avoir rendu visite à l’inventeur de l’objet, Doug Englebart, au Stanford Research Institute. Quelques années plus tard, l’entreprise suisse Logitech – basée, ironie du sort, à Apples (VD) – s’associe avec le LAMI et fait de la souris son produit phare. La firme deviendra le leader mondial en la matière.

Choc des générations au Musée Bolo : un iPhone qui photographie la première souris (1974) du Laboratoire en micro-informatique de l'EPFL [Keystone - Laurent Gilliéron]
Choc des générations au Musée Bolo : un iPhone qui photographie la première souris (1974) du Laboratoire en micro-informatique de l'EPFL [Keystone - Laurent Gilliéron]

Le coffre-fort du monde

Aujourd’hui encore, la Suisse reste à la pointe, notamment en termes de conservation et de protection des données. Nos bunkers alpins, transformés en data center, sont presque aussi célèbres dans le monde que les montagnes qui les abritent.

Des sociétés comme Deltalis ou SIAG ont ainsi colonisé les Alpes, tandis que green.ch s’est rabattue sur la plaine zurichoise pour construire sa "banque privée pour les informations numériques" ultrasécurisée. Au cœur des serveurs ronflants dorment quantités de données d’entreprises suisses, mais aussi de nombreuses sociétés européennes.

Le bunker qui abrite les serveurs de la société Deltalis, près d'Attinghausen (UR). [Reuters - Arnd Wiegmann]
Le bunker qui abrite les serveurs de la société Deltalis, près d'Attinghausen (UR). [Reuters - Arnd Wiegmann]

Des informations souvent confidentielles. C’est donc aussi en cybersécurité que la Suisse a développé ses compétences. Du groupe Kudelski à Sysmosoft, spécialisée dans la sécurisation d’application pour iPhone, de nombreuses sociétés ont misé sur la confidentialité. Encore une fois, l’EPFL se retrouve au centre de la recherche, puisque plusieurs start-up spécialisées dans le domaine ont vu le jour au sein de son Parc scientifique.

En 2013, selon le magazine Bilan, la Suisse comptait ainsi 129'000 m de capacité de stockage de données – soit la sixième plus importante du monde.

Une légitimité nouvelle

Mais c’est aussi dans la conservation du patrimoine que le pays a fait ses preuves. La collection du Musée Bolo, avec ses quelques dizaines de tonnes de matériel, compte parmi les plus importantes d’Europe. Elle est côtoyée, en Suisse alémanique, par l’Enter Museum de Soleure.

Yves Bolognini, fondateur du Musée Bolo, avec un Smaky 6, commercialisé en 1978. [Keystone - Laurent Gilliéron]
Yves Bolognini, fondateur du Musée Bolo, avec un Smaky 6, commercialisé en 1978. [Keystone - Laurent Gilliéron]

A l’heure où la culture informatique et, par la même occasion, la valorisation de son patrimoine, commencent à gagner en importance à travers une légitimité académique nouvelle – l’Université de Lausanne a ouvert cette année son GameLab, groupe d’étude sur le jeu vidéo – l’intérêt du public est plus vif que jamais.

Menacée par une résiliation de bail – l’entreprise informatique ELCA, qui prêtait gracieusement ses locaux depuis quinze ans au Musée Bolo, réclame désormais un loyer annuel de 40'000 francs – la collection Bolo a su trouver son public : son appel aux dons, lancé mi-mai, a déjà récolté plus de 45'000 francs, soit 114% de la somme exigée – et la campagne n’est pas finie.

Côté suisse allemand, le troisième Vintage Computer Festival Europe (VCFE), tenu à la Rote Fabrik de Zurich en novembre dernier, a rassemblé plus de 700 visiteurs – soit plus du double que ce qu’avaient prévu les organisateurs.

Vers un Musée suisse du numérique

A terme, le Musée Bolo aimerait réussir à récolter 200'000 francs -plus de 40'000 francs ont déjà été réunis à ce jour. Sa volonté : devenir une véritable institution culturelle et rendre sa collection visible au grand public. Actuellement, les expositions temporaires et permanente du Musée Bolo sont en effet accueillies par la Faculté Informatique et Communications de l’EPFL. Un système qui offre relativement peu d’espace – 250 m2 –, ne permet pas l’exploitation d’une billetterie et ne génère donc aucun revenu.

>> A voir: L'exposition du Musée Bolo sur l'histoire des ordinateurs en 2011 :

Exposition au Musée Bolo sur l'histoire des ordinateurs
RTSculture - Publié le 3 juillet 2017

Ce futur musée de l’informatique pourrait emménager à Bussigny – du moins des discussions sont en cours. Il aura pour vocation de valoriser le patrimoine informatique suisse, mais également d’offrir certains services comme le décryptage de données conservées sur des supports numériques périmés.

Finalement, son rôle sera aussi, et surtout, d’interroger la place du numérique dans la société ainsi que de développer et de conserver son histoire.

>> A voir aussi: Le Musée Bolo lance un appel aux dons :

Le patrimoine du Musée Bolo menacé
RTSculture - Publié le 3 juillet 2017

Crédits

Textes et réalisation

Séverine Chave

Un dossier préparé avec l'équipe D+A - RTS Archives

RTS Culture - juin 2017