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Temps partiel: un droit mal connu des hommes

Le modèle proposé permettrait notamment aux pères de se rapprocher de leurs enfants. [Caroline Briner]
De plus en plus d'hommes s'occupent de leurs enfants durant la journée. - [Caroline Briner]
Un homme qui souhaite travailler à temps partiel pour mieux vivre sa paternité a peu de chance de voir son vœu se réaliser. Les employeurs sont souvent réfractaires. Mais surtout, l’employé n’ose pas faire le pas. Néanmoins, des entreprises proposant de déterminer soi-même son taux de travail voient le jour.

"Beaucoup d’hommes disent qu’ils sont intéressés par le temps partiel, mais peu l’obtiennent, et même osent le demander", observe Sylvie Durrer, du Bureau de l’égalité du canton de Vaud. "Le plus souvent, ils déclarent tout de go: -Dans mon secteur, avec ma fonction, c’est impossible. Mon employeur ne sera pas d’accord.- ", renchérit Aline Robert, de caP, service de conseil pour la conciliation travail/famille financé par la Confédération et basé à Neuchâtel.

Et si l’homme fait le pas, "dès qu’on lève un sourcil, il abandonne sa démarche. La femme, elle, va se battre. Peut-être parce qu’elle est plus habituée à le faire dans ce domaine", poursuit la cheffe du bureau vaudois. Preuve en est : aucun homme n’a jamais porté plainte en Suisse romande parce qu’on lui avait refusé le temps partiel. Les syndicats Unia et SIT n’enregistrent eux non plus aucun grief à ce propos.

Sylvie Durrer donne un exemple : un homme, à qui avait été refusée une baisse du taux de travail, s’est rendu au Bureau de l’égalité non pas pour obtenir gain de cause, mais simplement pour témoigner. C’est son épouse qui a, une nouvelle fois, réduit son taux de travail.

Etre père ou chef de famille

"L’homme veut et, en même temps, il ne veut pas", estime Daniel Hubert du centre UND, leader en Suisse alémanique dans les conseils travail/famille. "L’homme veut assumer son rôle de père. Cependant il ne voit pas ce qu’il gagne, mais ce qu’il perd : de l’argent et son identité professionnelle", poursuit-il.

Le regard que porte aujourd’hui la société sur l’homme qui s’occupe de ses enfants est double: le père actif est à la fois un héros et un homme peu sérieux. "La notion de – Bread winner- (-qui nourrit la famille-) est encore très forte", renchérit la cheffe vaudoise Sylvie Durrer. Et de conclure : "Les hommes doivent eux aussi s’émanciper".

Des entreprises ont fait le saut

L’homme peut être aidé dans son désir de travailler moins par son employeur lui-même. Il faut pour cela que la direction de son entreprise ait une politique pro-active dans la flexibilité du temps de travail pour les deux sexes. Et ça existe !

Basé à Neuchâtel et comptant une trentaine de nationalités, le Centre Suisse d'Electronique et de Microtechnique pratique le temps partiel pour les deux sexes depuis plus de 10 ans. Son but : attirer et fidéliser les employés. Résultat : 17% des hommes ont un taux d’activité réduit (la moyenne nationale est de 12%). "Cela a pris du temps, mais aujourd’hui c’est parfaitement intégré. Les personnes employées à temps partiel ne craignent plus d’être déconsidérées par les autres", s’enthousiasme Anne-Marie Van Rampaey des ressources humaines.

Le CSEM à Neuchâtel a remporté le Prix Egalité 2008. [KEYSTONE - GAETAN BALLY]
Le CSEM à Neuchâtel a remporté le Prix Egalité 2008. [KEYSTONE - GAETAN BALLY]

Mais comment le CSEM arrive-t-il à gérer ce qui est dit impossible ailleurs ? "Il ne suffit pas de diminuer les heures de travail et le salaire. Il faut aussi diminuer la masse de travail en la répartissant ailleurs. Les tâches abandonnées par l’un sont distribuées à trois-quatre autres personnes. Et de temps en temps, on crée des postes", explique la directrice des RH. Cela demande une analyse fine des activités et des compétences de chacun, mais cet investissement vaut la peine car un employé à temps partiel travaille souvent mieux, rappelle Anne-Marie Van Rampaey.

Aussi possible pour les cadres

Les bonnes expériences avec le temps partiel touchent tous les postes, y compris ceux à responsabilité. Ainsi la Raiffeisen refuse rarement les demandes de temps partiel des cadres. "Favoriser l’équilibre travail/famille fait partie de l’objectif stratégique de la direction pour se positionner comme un employeur attrayant depuis environ cinq ans", explique du bout des lèvres le porte-parole de la banque Philippe Thevoz.

Figurant parmi les entreprises qui ont décidé de transcender leurs craintes sur le travail flexible, Swisscom compte 5% de cadres masculins à temps partiel (et 22% des femmes). Dans l’administration cantonale vaudoise, ce taux est de 7% pour les cadres et de 1,75% pour les cadres dirigeants.

A Genève, au sein du département de Sandrine Salerno (finances et logement), quasi tout employé peut passer à 80% depuis mi-2007. Seuls deux hommes travaillent à temps plein sur la quinzaine de personnes que compte la direction. "C’est un challenge, mais c’est aussi une question d’organisation", résume la conseillère administrative.

Revers de la médaille

Cependant, la flexibilité des employeurs peut jouer des tours. Dans les branches où les femmes sont très représentées, le temps partiel s’est trop bien imposé. "Il faut maintenant parfois se battre pour pouvoir travailler à 100%, qu’on soit une femme ou un homme", soupire Manuela Catani du syndicat SIT. C’est le cas dans l’enseignement (62,4% de temps partiel au 1er trimestre 2010), le domaine associatif (59,5%), la santé et le social (56,7%), le commerce de détails, les télécommunications et l’immobilier (environ 42% chacun).

Au final, de plus en plus d'hommes travaillent à temps partiel pour vivre leur paternité depuis une dizaine d'années. Cependant, ce changement de mentalité reste très discret, touchant principalement le secteur tertiaire et les personnes qui ont un niveau social élevé (voir statistiques). Pourtant, la loi sur l’égalité, mise en place en 1995, "interdit de discriminer les travailleurs en raison du sexe".

En fait, pour que le temps imparti à la famille et au travail puisse être mieux équilibré entre les deux membres du couple, l’homme doit maintenant réaliser qu’il peut lui aussi revendiquer des droits au nom de l’égalité des sexes.

Caroline Briner

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Le temps partiel des hommes en Suisse

Le nombre de familles où les deux parents travaillent à temps partiel est en augmentation. En 1990, elles représentaient 1,5% des ménages. En 2006, 3,4%, selon l’Office fédéral de la statistique. Ce sont surtout les jeunes parents matériellement et culturellement privilégiés des centres urbains bernois et zurichois qui recourent au double temps partiel.

Les modèles familiaux les plus prisés sont ceux où l’homme travaille à 100% et -la femme travaille à temps partiel (41,9% des cas), -la femme ne travaille pas (24,4%) et -la femme travaille à temps plein (23,4%)).

L'intérêt des hommes pour le temps partiel est en augmentation. Selon l’OFS (2009), 12,6% des salariés travaillent à moins de 90%, contre 56,9% des salariées, soit un peu plus qu’il y a 10 ans (respectivement 10,8% et 55,6%).

Le temps partiel est pratiqué par 33% des personnes actives en Suisse (2009, OFS). Seuls les Pays-Bas ont une part plus importante (48%) en Europe. Pourtant, le temps de travail hebdomadaire moyen en Suisse (42,7h) est quasiment égal à celui au-dessus de la moyenne européenne (Eurostat 2008). Au sens inverse, le travail à temps partiel est presque inexistant en Roumanie et en Hongrie.

Le modèle où les deux partenaires travaillent à temps partiel se rencontre le plus fréquemment aux Pays-Bas (5,4%) et en Suède (4,3%). Au Portugal et en Finlande, les deux partenaires travaillent à plein temps dans environ deux tiers des couples. L'Italie et l'Espagne sont les pays où est le plus représenté le modèle traditionnel (l'homme à plein temps et la femme au foyer), avec respectivement 37 et 34%.

A noter par ailleurs que le temps de travail s’est réduit dans les pays développés depuis les années 1950, passant de plus de 2000 heures par an à 1620 heures en moyenne (Institut national français Insee, janvier 2010).

Le secteur secondaire en queue de peloton

Dans le secteur secondaire (12,9% des emplois sont à temps partiel), il est clairement plus difficile de réduire ses heures que dans le tertiaire (38,7%).

"Pour le contrôle, la préparation ou la finition, le temps partiel est envisageable. Mais pour l’usinage, c’est peu réalisable, voire impossible", assure le secrétaire général du Groupement suisse de l’industrie mécanique (GIM-CH).

"Chaque pièce est minutée. L’octroi du temps partiel bouleverserait les schémas de production", explique Frédéric Bonjour. Et le recourt au temps partiel qu’a été appliqué récemment à cause de la crise n’est pas comparable. Car à ce moment-là, il y avait moins de commandes, explique le secrétaire général.