Oberon, Titania et Puck avec les fées dansantes (Songe d'une nuit d'été, Shakespeare). William Blake. c.1786 [wikipedia]

Music for a William (5/5)

A l'initiative de Marie Favre, étudiante en musicologie, " Musique en mémoire " se penche cette semaine sur le théâtre de Shakespeare.
Entre reportage à Londres au Globe Theatre (reconstruit d'après l'original du 16e siècle), entretiens avec des musiciens et des chercheurs, chansons sur les vers du grand William et mise en ondes de quelques scènes emblématiques, un coin de voile sera levé sur le rôle de la musique dans le théâtre élisabéthain et dans les pièces de Shakespeare en particulier.

Vous ouvrez un Racine : le livre parle. Vous ouvrez un Shakespeare : le livre chante. Toute la musique contenue dans les pages déborde aussitôt votre lecture entamée - et vous emporte. Que de chansons - mais vous les connaissez ! Il y a les fossoyeurs qui gueulent parmi les ossements des refrains déplacés - alas, poor Yorick ! Il y a Ophélie, ses fleurs, ses refrains fragiles (et qui a dans le film de Laurence Olivier cette émouvante beauté dans la mort qui la fait ressembler à un tableau de Klimt). Il y a ces musiciens inconnus, tapis à l’ombre des jardins et des parcs, qui jouent une hymne céleste reflétant pour les amants silencieux du Marchand de Venise l’ordre lumineux de la musique des Sphères, et tout cela sans compter ces danses joyeuses, à la campagne comme au palais.
Le théâtre de Shakespeare s’appelait le Globe. Quel plus beau nom rêver pour un théâtre ! Sur ce globe, dans ce théâtre-monde, ont résonné toutes les musiques que vous avez jamais imaginées ; tout, de l’art le plus haut à l’obscénité la plus grasseyante. Convoquez vos souvenirs. Avez-vous pleuré, un soir de pluie, en croyant entendre s’élever dans votre chambre la chanson de Desdémone pour jamais liée à son saule ? Avez-vous frémi à la musique de l’alouette - ou, amour, est-ce le rossignol ? - qui réveille au petit matin les amants de Vérone et les lecteurs émus ? Oui ? En ce cas, vous savez bien, n’est-ce pas, que l’on entend aussi parfois des musiques moins avenantes: dans certaines pages, à certaines heures, résonnent les tambours de guerre accompagnant sur les champs de France Henri V, éclatent les trompettes annonçant les entrées de personnages royaux. Que d’obscurs désastres - que de grandeur. Mais il y a aussi des tirades mélodieuses où se réfugier, des arbres, des fontaines - et quelle douceur alors : vous souvient-il de la musique enchantée des fairies ? Des joueurs de luths du duc Orsino ? Murmurez-vous parfois quelques vers des Sonnets ? Et sur tout cela, bien haut au-dessus du monde, avez-vous écouté planer les chansons éthérées d’Ariel, inaccessibles et tremblantes comme oiseaux de passage déchirant le ciel ?
Lorsqu’il était perdu, en quête d’inspiration, Orson Welles relisait Shakespeare. Dans son exil à Guernesey, Victor Hugo le relut lui aussi et écrivit à son propos un essai passionné. Berlioz en était obsédé. Britten le citait souvent. Nous le connaissons tous. Mais depuis quand ne l’avons-nous pas relu ? Les héros de Shakespeare, de nous être trop connus, nous sont devenus lointains. Ils sont pourtant à notre porte : leur lieu est dans les mots, dans leur musique, et il suffit d’ouvrir un livre, de lever un rideau, et ils jaillissent, intacts et vivants. Ils existent. Nous vous invitons, cette semaine, à visiter vos bibliothèques et à ressortir des rayonnages, à la suite de quelques musiciens, professeurs, artistes, artisans, savants ou étudiants, quelques précieux volumes - pour les écouter chanter… Shakespeare, la musique de son temps, la musique de ses pièces, la musique de sa langue, seront au cœur de notre propos l’espace d’une semaine, entre Genève et Londres. Nous entendrons des propos divers et des chansons à boire ou à pleurer. Et l’écho de « divines musiques » qui, comme les oiseaux de Saint-John Perse, s’en vont « et doublant plus de caps que n’en lèvent nos songes, passent, nous laissant, (…) et nous ne sommes plus les mêmes. Elles sont l’espace traversé d’une seule pensée. » Orphée, avec son luth…

Une série de cinq émissions proposée par Marie Favre et David Meichtry
Réalisation: Marie-Claude Cudry
Assistance de production: Isabelle Watson

5. La nuit des rois : musiques de la mélancolie
Avec les voix d’Alain Guerry, Nastassja Tanner et Emma Pluyaut-Biwer, comédiens
Music for a William (5/5)