La Suisse a importé 42'856 kilos de vanille en 2006. Puddings, flans, biscuits glacés, thés, yoghourts ou chocolat : c’est l'arôme le plus utilisé de l'agro-alimentaire. Sans oublier la parfumerie et la cosmétique qui ne sauraient s'en passer. Pourtant, l'arôme vanille n'est, de loin, pas toujours authentique.
La naissance de l'arôme
ABE s'est rendu dans une serre du jardin botanique de Bâle spécialisée dans la culture des orchidées. Dans la famille des orchidées, 110 sont du genre « vanille ». Seules trois d'entre elles sont cultivées à des fins commerciales : la « vanilla pompona », la « vanilla Tahitensis » ou vanille de Tahiti et puis celle qui représente l'essentiel des cultures, la « vanilla planifolia ». L'orchidée vanille est une liane qui a besoin de l'ombre et du support d'un autre arbre pour se développer. Dans les cultures, elle sera par exemple mélangée au poivrier ou à l'acacia.
Un peu d'histoire
La culture de la vanille est aujourd'hui l'apanage de Madagascar, leader incontesté du marché, avec plus de 80% de la production mondiale. Mais la vanille est en fait originaire du Mexique. Les Aztèques sont les premiers à employer la vanille qui arrivera en Europe au XVIe siècle grâce aux conquérants espagnols. Le roi de France tente à l'époque d'introduire la vanille à la Réunion, une île que les Français appellent alors l'Ile Bourbon. Ainsi naît l'appellation « Vanille Bourbon », qui aujourd'hui est (en principe) réservées à trois îles : la Réunion, les Comores et Madagascar.
Il faudra attendre 1841 pour que les plantations françaises à La Réunion donnent enfin des fruits. Un jeune esclave, Edmond Albius, se substitue à l'abeille mélipone et invente la méthode de pollinisation artificielle encore employée aujourd'hui : il met manuellement en contact le pollen avec le pistil séparés par une membrane.
De la fleur à la gousse
Les plants fleurissent successivement pendant 2 à 3 mois. Il faut procéder à la pollinisation très rapidement : « les fleurs de vanille ne reste qu'un jour. On a donc très peu de temps pour procéder à la pollinisation. On aura alors une seule gousse par fleur, ça représente beaucoup de travail » explique Sebastian Leuzinger, botaniste à l'Institut de botanique de l'Université de Bâle. Toutes les fleurs ne s'ouvrent, heureusement, pas en même temps. Huit à neuf mois après la pollinisation, c'est l'heure de la récolte. Les gousses encore vertes subissent une série de traitements qui vont enclencher le processus de formation des arômes. L'échaudage d'abord : les gousses sont chauffées à une soixantaine de degrés durant trois minutes. Suit l'étuvage : on maintient les gousses au chaud et à l'humidité pendant 24 à 72 heures. Une étape qui leur donne leur fameuse couleur brune. Elles passent ensuite quelques mois de séchage au soleil, puis à l'ombre, jusqu'à obtenir un taux de 18 à 20% d'humidité. Les gousses sont ensuite calibrées, rassemblées en bottillons selon leur qualité, et conservées dans des malles en bois ou fer blanc pour la période dite d'affinage, durant laquelle les arômes de la vanille vont se développer. Au final, 1 kg de vanille verte donne quelque 250 g de vanille sèche.
Sachez encore que vous pouvez, au détour d'un chemin de randonnée, vous enivrez de la douce odeur de la vanille grâce à l'orchis vanillé ou gymnadenia odorissima qui en possède le parfum. A une condition : il faut les toucher pour que s'en dégage l'arôme de vanille.
Rencontre avec un négociant
Le commerce international de la vanille a débuté au XVIIe siècle. Aujourd'hui, les principaux marchés sont les Etats-Unis, la France, le Japon et l'Allemagne. Les géants de l'épice traitent directement sur place, de même que le fabricant de soda le plus connu au monde. Certains fabricants d'arômes et parfums s'assurent d'un approvisionnement à la source. La vanille est une épice rare : on dit que la production couvrirait à peine 10% de la demande mondiale. Les négociants ne sont donc pas légion.
ABE a rencontré l'un d'eux à Hambourg, sur les rives de l'Elbe, une ville qui revendique son rôle prépondérant dans le commerce maritime et le négoce. Berend Hachmann est tombé petit dans la vanille : son grand-père créa le négoce il y a 126 ans. Lui a repris de son père la direction du commerce, désormais implanté en France et au Canada. Un commerce pas comme les autres : « la vanille a besoin de beaucoup d'attention, sinon elle boude. »
La précieuse vanilline
La patience et l'attention qu'il prête à sa précieuse denrée lui permettent d'ailleurs d'obtenir une rareté, une vanille givrée couverte de vanilline, que vous ne trouverez jamais en supermarché : « la ménagère pense souvent qu'il s'agit de moisissure, mais ce sont des cristaux de vanilline, donc il s'agit d'un produit de très belle qualité. » La vanilline est une des molécules présente dans la vanille et qui se développe lors de la préparation des gousses.
Le taux de vanilline oscille entre 1et 2% dans les vanilles vendues couramment : la vanille noire de Madagascar, que l'on retrouve dans les tubes des supermarchés ou la vanille rouge, présente dans les glaces et les yoghourts. Vendues aussi aux industriels, les "cuts", des gousses coupées en morceaux de qualité inférieure : souvent tombées des lianes avant maturité, leur teneur en vanilline est moindre. Même la vanille épuisée, récupérée après extraction, est l'objet d'un commerce : ces points noirs n'ont plus ni goût ni odeur, mais sont employés à des fins purement esthétiques.
Une épice menacée par la spéculation
Depuis 2000, le commerce de la vanille s'est emballé. A l'époque, le cyclone Hudah balaie la côte est de Madagascar. Les plantations de vanille sont touchées. L'épice disparaît des étals, son prix s'envole. Pourtant, la catastrophe naturelle n'explique pas tout. Les acteurs du marché, planteurs, collecteurs et exportateurs, s'adonnent à la spéculation : « Ils ont gardé leur vanille, ne l'ont pas proposée sur le marché pour effrayer les clients. Le prix a ainsi grimpé jusqu'à 500 dollars par kilo » (1USD = env.1.20 CHF), explique Berend Hachmann.
Les industriels de l'agroalimentaire se tournent alors vers les produits de synthèse qui présentent l'avantage de la stabilité à tous les points de vue. La demande de vanille chute de 30 à 40%. Une situation qui pourrait favoriser durablement son imitation synthétique : « une fois que le producteur de yoghourt a changé formule et s'est tourné vers la vanille de synthèse, il est très difficile de le faire revenir vers le naturel ».
Un aller sans retour donc : même si la consommation mondiale regagne un peu de terrain, elle n'a pas retrouvé son niveau de l'an 2000. Suite à de bonnes récoltes, on se retrouve aujourd'hui dans la situation inverse : « le prix n'a jamais été aussi bas qu'actuellement [..], de 35 à 45 dollars pour la vanille noire ».
Pour un paysan produisant en moyenne 500 kg vanille par an, ce prix représente 1000 dollars de revenu annuel au mieux, un revenu dont il ne peut pas vivre : « ils se tournent vers d'autres produits, le girofle, le cacao, le café... Il faut absolument que le prix de la vanille monte ».
Fabrication industrielle de l'arôme vanille
Depuis les pics de prix en 2001 et 2003, l'agroalimentaire, s'est largement tourné vers les produits de synthèse (on estime qu'env. 90% des arômes de vanille utilisés par l'industrie sont d'origine synthétique). Si bien que toutes les entreprises de l'aromatique fabriquent aujourd'hui des produits aromatisants naturels et synthétiques.
Extraits
L'entreprise familiale Mane, dans l'arrière-pays niçois, figure dans le Top Ten des fabricants d'arômes et parfums. Elle fabrique aussi bien des arômes que des extraits. Patrick Verlaque, l'un des responsables de la division arôme de l'entreprise, nous explique un processus de fabrication d'un extrait de vanille : « la gousse est d'abord broyée, pour que le solvant pénètre dans la fibre et facilite l'extraction des parties aromatiques de la matière première. » La vanille macère ensuite dans le solvant, de l'alcool plus ou moins hydraté chauffé et en fin de parcours, l'alcool sera évaporé pour récupérer un produit concentré, en l'occurence « de l'oléorésine, qui a une consistance assez résineuse et solide, pâteuse. [...] Pour obtenir un kg d'oléorésine, il faut au départ, trois kg de vanille. »
Il existe plusieurs méthodes d'extraction, qui influe sur la concentration du produit fini. La méthode la plus courante est l'infusion : dans ce cas on récupèrera directement le liquide infusé, sans phase de concentration. Pour un kilo de cette infusion, il faut mettre en œuvre 500 g de vanille.
Arômes naturels
Les extraits pourront être employés tels quels, mélangés selon les désirs des clients ou entrer dans la fabrication d'arômes naturels : « l'arôme vanille est composé presque exclusivement d'extraits de vanille. Mais il y a la possibilité d'ajouter produits naturels pour donner une note anisée ou boisée, selon les habitudes de consommation ou la nationalité des consommateurs ». Les Français aiment ainsi la vanille aux notes anisées et les Allemands plutôt alcoolisée avec un peu de rhum. Quant aux Suisses, c'est comme d'habitude, un peu des deux ! Pour qu'un produit fini ait un goût significatif de vanille, il devrait avoir 1g par kilo de vanille naturelle. Il est, toutefois, bien difficile de dire si c'est le cas dans votre yoghourt ou glace préférés, l'étiquetage ne mentionnant pas la concentration des extraits ou arômes utilisés.
Arômes de synthèse
Par ailleurs, Mane, comme toutes les sociétés de l'aromatique, fabrique des arômes de synthèse. Les types d'arômes produits, « identiques » au naturel : « un arôme identique au naturel est composé de molécule de synthèse strictement identique à ce qu'on trouve dans la nature ».
A noter qu'on est aussi capable de fabriquer de la vanilline dite biotech. Cette vanilline - molécule aromatique prédominante dans la constitution du goût vanille - est dans ce cas obtenue par biofermentation de produits naturels tels que la pulpe de betterave ou de son.
Bref, l'éventail de ces substances aromatisantes et leurs combinaisons donnent une multitude de possibilités à l'agroalimentaire. Résultat pour le consommateur : une foule de mentions pas toujours très parlantes de la saveur vanille, toute synthétique, à la seule mention « vanille », supposant la présence d'ingrédients naturels !
Vanille : le test
ABE a sélectionné 14 produits lactés annonçant une aromatisation complètement ou partiellement naturelle. Trouve-t-on dans l'ensemble de ces produits une aromatisation naturelle ? Le laboratoire de la répression des fraudes et des douanes de Marseille les a testés grâce à un genre d'analyses extrêmement pointues, des analyses isotopiques.
Vanille naturelle
Quatre produits affichent le recours exclusif à des ingrédients naturels, ce qu'ont confirmé les analyses.
Pot de crème vanille Bonne Maman
Flan vanille Bio Natur Plus chez Manor
Vanilla Dream Classic Ice Cream de Mövenpick
Glace Vanille onctuosité de Carrefour
Vanille de synthèse et naturelle
Les chimistes ont décelés à la fois des ingrédients naturels et des ingrédients de synthèse dans cinq produits, conformément à ce qu'annonçait leur étiquette.
Yogourt ferme vanille Migros
Energy Milk Vanille d'Emmi
Milk Mix Vanille de Migros
Vanille Drink Freefrom de Coop
Glace Vanille Carte d'Or d'Unilever
Vanille de synthèse et infime quantité de vanille naturelle
Quant aux autres produits annonçant une aromatisation naturelle et de synthèse, on y a décelé surtout de la vanille de synthèse et une quantité infime d'ingrédient naturel.
Yogourt ferme vanille bourbon de Danone
Glace Crème d'Or vanille Bourbon Midor chez Migros
Crème Dessert vanille Stalden de Nestlé
Incertitudes
Deux produits indiquant une aromatisation à base d'ingrédients naturels, ont posé problème. : Les résultats laissent penser à une aromatisation de synthèse, mais l'incertitude demeure quant à leur interprétation : en cas de contrôle officiel, le laboratoire de la répression des fraudes aurait demandé un complément d'enquête afin d'analyser les substances aromatisantes séparément.
Yogourt vanille de Cremo
Glace Vanille Bourbon Coop
Au final, cela nous donne quatre produits sur quatorze à l'aromatisation naturelle, alors que l'emballage des différents produits, avec une débauce de fleurs et de gousses, suggère sans doute une présence plus marquée d'ingrédients naturels.
Test de la vanille : commentaire de Bernard Klein, chimiste cantonal vaudois
Disponible seulement en vidéo.