Chaque année, les Suisses achètent entre cinq et six paires de chaussures, sur un marché où l'on trouve aujourd'hui de tout, à tous les prix, du meilleur au pire en terme de qualité. Test, reportages en Chine, au Tessin et en France : ABE vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les chaussures.
Luxe et qualité : le scarpe
En Italie, Milan est la cité de la mode et des chaussures. Le
créateur Walter Steiger est l'un des rares Suisses à avoir posé son
empreinte dans l'univers des chausseurs de luxe. Dès son
apprentissage, ce fils de cordonnier genevois n'a eu qu'une
obsession : faire le meilleur soulier qui soit.
« Une bonne chaussure est cousue », explique-t-il. «
La plupart des chaussures présentes sur le marché sont collées,
plus simples, meilleur marché. »
Ses chaussures pour hommes sont
encore fabriquées à la main, sur ses instructions : « Seuls
quelques artisans près de Venise les font pour moi. Ce sont des
chaussures extraordinaires. Elles sont cousues trépointe et elles
sont quand même très souples. A l'intérieur, c'est rempli de liège,
ensuite on met la semelle dessus et on la recoud une deuxième fois
à la main tout le tour. »
On retrouve chez le créateur le même souci de la qualité dans
ses chaussures pour femmes, même si la mode prime souvent sur le
confort.
Une qualité qui a un prix, tous les connaisseurs du marché
confirment : une chaussure de qualité est forcément une chaussure
chère.
Pour comprendre pourquoi, ABE est allé voir au Tessin l'une des
dernières usines de chaussures en Suisse.
Elle fabrique des souliers moyen et haut de gamme pour la marque
Navyboot, appliquant un savoir-faire de près d'un siècle.
En partant d'un modèle développé
par un styliste, le processus de fabrication commence par le
découpage des pièces de cuir, presque toujours du veau, choisi
notamment pour sa souplesse. Ensuite, vient l'assemblage des
différentes pièces de la chaussure.
Les salaires de la trentaine d'ouvriers représentent plus de la
moitié du prix de fabrication, auquel s'ajoute, bien-sûr, le coût
des matériaux, choisis ici pour leur qualité :
« Si, par exemple, vous avez une semelle tout cuir, cela coûte
le double du demi-cuir ou des autres matériels », explique
Luisa Benelli, directrice et propriétaire de l'usine Benelli.
On colle la semelle, en différentes étapes, on polit le cuir et on
bichonne le tout : la chaussure « swissmade » est prête à partir
sur les étalages, où elle sera vendue au moins au double du prix de
fabrication, marketing et marge des détaillants obligent.
La qualité se paie donc, mais l'inverse n'est pas toujours vrai :
une chaussure chère n'est pas forcément de qualité. Son prix peut
refléter d'abord les marges de certains détaillants, et il peut
aussi masquer des procédés de fabrication pas forcément haut de
gamme.
Comment dit-on « chaussure » en chinois ?
En Europe, près de 65% des souliers
vendus proviennent de Chine. Sur les 15 milliards de chaussures
produites chaque année dans le monde, plus de 8 milliards sont
fabriquées en Chine. La plupart des grands fabricants qui
alimentent notre marché y font produire leurs souliers, qu'ils
revendent ensuite à des prix planchers.
La capitale de la chaussure, en Chine, s'appelle Wenzhou. Plus
de 4000 usines travaillent jour et nuit pour fabriquer environ un
milliard de paires de chaussures par an. Fabriquer une paire de
souliers de cuir, en Chine, coûte entre deux et six euros, ce qui
explique qu'on la retrouve chez les marchands européens à des prix
imbattables.
Pourquoi la chaussure chinoise est-elle si peu chère ?
La principale explication se trouve
du côté de la main d'œuvre : le secteur emploie plus de 400.000
ouvriers, essentiellement des jeunes venant des provinces voisines
et qui travaillent douze heures par jour pour 100 à 150 euros par
mois.
Les plus grandes usines sont de véritables villes dans la ville,
les ouvriers vivent sur leur lieu de travail, paient pour l'accès à
la cantine, pour avoir une chambre où l'intimité n'existe pas : six
personnes en moyenne partagent 10m2. Tout le monde utilise la même
toilette et la même cuisine improvisée.
Dans ces usines, les conditions de
travail sont extrêmes : des journées interminables, le bruit
permanent des machines, la colle qui attaque les mains et l'odorat,
les heures supplémentaires qui ne sont pas rémunérées...
Du côté des géants chinois de la
chaussure, l'explication des bas prix est ailleurs.
Aokang est le leader de la chaussure dans son pays. En 2006, le
groupe a exporté deux millions de paires de chaussures vers les
marchés européens, dont la Suisse. Avec plus de 15.000 ouvriers,
l'objectif de cette entreprise est clair : devenir leader en
Europe.
Face aux peurs et aux critiques de ses concurrents, le groupe se
défend : selon lui, si les chaussures chinoises sont si peu chères,
c'est parce que les usines européennes ne sont pas assez
compétitives, pas assez productives.
La Chine produit plus de 50% des chaussures fabriquées dans le
monde. Pour d'autres géants du secteur, comme Kangnei, la
mondialisation a changé les règles du marché. Les clients viennent
d'eux-mêmes vers les producteurs chinois, qui exportent bien plus
qu'auparavant, lorsque la production alimentait surtout le marché
intérieur.
Autre explication de ces bas prix,
la conception de la chaussure. Si les grandes marques peuvent
s'offrir les services de designers, les plus petites préfèrent
s'inspirer, voire copier, les modèles qui marchent en Europe.
Si la Chine est devenue l'atelier de fabrication de ces chaussures
à bas prix, la qualité laisse bien souvent à désirer. La qualité et
l'innovation à l'européenne restent donc de rudes concurrents pour
le « made in china ».
Acheter, marcher, jeter !
Selon une étude de marché, 40 millions de paires de chaussures
sont vendues chaque année en Suisse et 80% des chaussures que nous
achetons coûtent moins de 90 francs. La chaussure n'est plus faite
pour durer, et l'achat, rendu plus facile grâce aux petits prix,
est souvent impulsif et se fait au « coup de cœur ».
Les grands distributeurs se sont
emparés du marché, plutôt juteux en Suisse, puisqu'il affiche des
ventes annuelles de plus de deux milliards de francs.
Le concept de vente des grands distributeurs est basique : ils
entassent et le client se débrouille. Plus de vendeurs spécialisés
à ses pieds pour lui tendre un chausse-pied et le conseiller. Les
clients achètent un prix et ils achètent du jetable.
« Je ne m'attends pas à une bonne qualité, je m'attends à ce
que la chaussure soit jolie, à la mode du moment », explique
une cliente interviewée dans une des grandes surfaces de la
chaussure en Suisse romande. « Ce sont des chaussures que l'on
peut changer facilement si elles ne sont plus à la mode ; ce n'est
pas grave, car on les a achetées bon marché, on n'a pas besoin
qu'elles durent dix ans ».
A l'autre bout de la chaîne, chez
les cordonniers, c'est le même constat : les chaussures de grande
consommation se font moins résistantes et ne sont parfois même pas
réparables.
« Les chaussures bon marché ne sont effectivement pas faites
pour durer, les fonds sont souvent en plastique, les collages
deviennent plus compliqués, alors qu'avant c'était monté en cuir
(...) Les fonds de chaussures sont aussi souvent en plastique,
parfois montés sur carton. Des choses comme ça, on est désolé, on
ne peut pas les réparer ! » confirme Jean-Pierre Betto,
cordonnier à Genève.
Test : des chaussures sous la torture
Pour évaluer la qualité des chaussures sur le marché suisse, ABE
a choisi quinze paires de souliers à la mode ce printemps. Pour les
femmes, huit ballerines de même style, dans le bas, le moyen et le
haut de gamme, et pour les hommes, sept chaussures de style baskets
de ville, également dans trois gammes de prix.
Ces chaussures sont confiées aux experts du Centre technique du
cuir et de la chaussure à Lyon, qui évaluent la construction, les
matériaux et la performance des échantillons.
Tous les éléments du soulier sont
passés au crible : le dessous de la chaussure avec notamment le
talon, la semelle extérieure, un élément de soutien qu'on appelle
le cambrion, une première semelle de montage et une semelle
intérieure de propreté ;
puis le dessus, que l'on appelle la
tige de la chaussure, composé notamment de contreforts, d'une
doublure intérieure, de quartiers et d'une languette.
Les chaussures de femmes
Marc Folachier, directeur du Centre, fait un premier constat : «
On est plus dans l'accessoire de mode que dans la chaussure.
J'aurai tendance à dire que toutes les chaussures ne sont pas
faites pour marcher ».
La forme des chaussures ne respecte pas toujours la morphologie du
pied d'une majorité de femmes et elles compressent souvent le gros
orteil.
Très bon et bon rapport qualité/prix
Marc Folachier émet une réserve sur
la ballerine Zara : « L'arrière de l'emboîtage dépasse bien de
3-4 mm du bord de la semelle, donc à l'atterrissage du talon, c'est
l'abrasion de la tige absolument garanti et en plus, sur un produit
métallisé, doré, cela ne va pas passer complètement inaperçu.
»
Rapport qualité/prix correct
« La ballerine Repetto est un
produit assez léger. Du fait de sa semelle de cuir, qui est
relativement fine, on ne peut pas en attendre de bons et loyaux
services sur des mois et mois, il faut en réserver l'usage pour
l'intérieur ou pour les soirées », précise l'expert.
Rapport qualité/prix insatisfaisant
Selon Marc Folachier, le montage de
la ballerine La Halle aux Chaussures n'est pas très soigné. Enfin,
les finitions de la ballerine Bally sont trompeuses : la couture y
est uniquement décorative.
Les chaussures pour hommes
Si les souliers pour hommes semblent davantage faits pour marcher,
le Centre a relevé des problèmes de fabrication et de matériaux.
Cinq souliers sur sept ont une semelle en caoutchouc
thermoplastique, un polymère assez bon marché mais qui s'use plus
rapidement. Il a comme défaut principal de se détériorer au contact
de l'essence ou de l'huile.
Très bon rapport qualité/prix
D'après Marc Folachier, une
chaussure « bien conçue avec des choix de matériaux pertinents,
et bien réalisée. Cette chaussure fait 1,1 kg à la paire, c'est une
chaussure qui va durer, elle a une semelle en caoutchouc vulcanisé,
la même matière qui fait les pneus automobiles. »
Bon rapport qualité/prix
Remarques de l'expert : la
chaussure Vogele Shoes présente un problème de collage ; la semelle
intérieure en mousse de la chaussure Cat peut provoquer des
ampoules.
Rapport qualité/prix correct et
insatisfaisant
Selon Marc Folachier, le modèle de
La Halle aux Chaussures est un « piège à consommateurs » ,
puisqu'elle affiche une ressemblance avec des chaussures en cuir,
alors qu'elle est entièrement synthétique. Elle est tellement
étanche que, dit-il, « elle pourrait servir de baignoire à
poissons rouges » : cela veut dire que le pied n'y respire pas
et que la sueur se concentre à l'intérieur du soulier.
Le pied en danger
Le choix d'une chaussure peut avoir des conséquences sur le
budget, mais aussi sur la santé. Le port de chaussures inadaptées à
la morphologie du pied peut créer toutes sortes de pathologies. Ce
sont surtout les souliers pour femmes qui posent problème.
Les ballerines et les baskets de
ville sont, bien-sûr, moins pathogènes que des escarpins à talons
hauts, mais elles présentent un problème commun à la plupart des
chaussures, celui de la largeur, qui est souvent la même pour une
paire de ballerines de taille 38 et une paire de taille 40.
Conséquences, « les orteils se serrent, l'hallux valgus, soit
la déviation du gros orteil, se crée puis des déformations s'en
suivent sur 20 ou 30 ans d'évolution », explique le docteur
Delmi, chirurgien du pied à Genève.
La finesse des semelles inquiète également le spécialiste : «
C'est comme si vous marchiez pied nu sur des trottoirs en
goudron pendant toute la journée, je vous laisse imaginer l'état du
pied le soir ».
Quelques conseils pour bien vous chausser :
- pour les femmes, choisissez une chaussure avec un talon
inférieur à 4 cm, avec une largeur qui correspond à la morphologie
de votre pied, avec l'avant haut d'au moins 2,5 centimètres et avec
une semelle en cuir, si possible avec au moins un petit
amorti.
- Petit truc des spécialistes : accroupissez vous lorsque vous
l'essayez, comme avec une chaussure de ski, pour être sûre que
votre gros orteil ait assez de place
- Enfin, ne croyez pas les vendeurs ou les vendeuses lorsqu'ils
vous disent que la chaussure se fera à votre pied : une chaussure,
même en cuir, ne s'adaptera pas à votre pied et restera aussi
inconfortable qu'à l'essayage.
- Pour les hommes, moins de problèmes puisque leurs chaussures de
ville sont plus adaptées à la morphologie de leur pied. Ceci dit,
soyez attentifs aux matériaux utilisés : du tout synthétique peut
faire de votre pied ce que les spécialistes appellent un pied
bouilli, à savoir un pied à la peau molle, suante et plus exposé au
risque de mycose.