A la pêche au surimi
Il est né au Japon, a investi les Etats-Unis avant de traverser l'Atlantique à l'abordage de l'Europe il y a une vingtaine d'années, mais ce n'est que récemment que le surimi s'est véritablement implanté au rayon poissonnerie de nos supermarchés. Dans l'Union Européenne, la consommation a progressé de 81% entre 1997 et 2002.
En Suisse, les chiffres sont difficiles à dégager. Selon les distributeurs que nous avons contactés, la demande de surimis est en augmentation constante : Migros en a vendu 150 tonnes l'an dernier (120 tonnes en 2000), Coop 60 tonnes de surimis en 2004, en augmentation de 15% par rapport à 2003, Manor 10 tonnes l'an dernier et prévoit une augmentation de 5% pour cette année.
Formé à l'Ecole hôtelière de Lausanne, Alain Najar y enseigne depuis 1992 la gestion de la restauration, un poste d'observation privilégié des tendances du marché et des habitudes alimentaires en Suisse. Alain Najar nous explique : « On peut constater, par rapport à plusieurs statistiques, que les Suisses mangent de plus en plus de poisson, actuellement huit kg de poisson par personne et par an. Le poisson véhicule l'image d'un produit sain, frais, qui contient moins de graisse. Le surimi, c'est facile à manger, comme un snack. Et puis, dans la journée, on a peu de temps pour le repas à table, donc, automatiquement, le grignotage prend de plus en plus une place importante. »
Est-ce que le surimi est apprécié des professionnels de la restauration ?
« Non, pas dans la restauration traditionnelle. Je pense que c'est surtout une question d'image et que, pour l'instant, le surimi n'a pas sa place. »
Kamaboko ou le surimi du Japon
La technique de préparation du surimi, que les Japonais appellent le plus souvent kamaboko, remonte fort loin lorsque les pêcheurs de l'Empire du Soleil Levant ont constaté que la chair de poisson lavée se conservait plus longtemps, une fois pétrie avec du sel et cuite à la vapeur. Georges Baumgartner, notre correspondant, est parti sur la trace des petits gâteaux de poisson, dont les Japonais consomment 6,8 kilos par habitant et par an. C'est à Odawara, la capitale du kamaboko, que nous le retrouvons.
[Reportage au Japon uniquement disponible en vidéo]
Test des surimis
Que trouve-t-on dans les surimis commercialisés chez nous ? C'est ce que nous avons voulu savoir en soumettant douze produits à un test de qualité effectué par le Service de protection de la consommation de Genève. André Cominoli est l'adjoint au chimiste cantonal : « Nous avons effectué le dosage de certaines substances étrangères, des polluants comme le mercure. Il n'y a aucun résultat positif ou uniquement des traces de mercure dans certains échantillons. »
Tout est dans les normes sur ce point. Le laboratoire a ensuite analysé les produits de façon à dégager les différents types de nutriments. Les produits contiennent de l'eau à raison d'environ 75%, soit à peu près la teneur que l'on retrouve dans le poisson, mais aussi des glucides et des matières grasses.
André Cominoli : « Au départ, il n'y a pas de glucides dans un poisson, ou très peu. Lorsque cette teneur augmente, il s'agit d'un ajout de sucre qui doit figurer sur la liste des ingrédients. La teneur en lipides va varier selon les ajouts d'huile végétale. Il s'agit de regarder la liste des ingrédients pour voir si de l'huile a été rajoutée au produit. »
« Les protéines peuvent être considérées comme un indice de qualité. »
Partant de ce constat, nous avons classé les surimis du moins riche au plus riche en protéines.
Les bâtonnets de surimi, aromatisés au crabe, Aurelmar : 6,5% de protéines.
Les pinces de crabes panées farcies au surimi, Ledragon : 6,8% de protéines, mais aussi 21,3% de glucides, le maximum de notre test.
Les bâtonnets surimi Le Marin : 6,9% de protéines et un maximum de lipides, 7,5%. Le produit le plus calorique de notre échantillonnage.
Les pinces de crabe surimi achetées chez Manor contiennent 7% de protéines.
Les bâtonnets moelleux, saveur crabe, de Fleury Michon présentent un taux de 7,5% de protéines.
Les Fish & Dip, cocktail-sauce, de Coraya affichent 8,5% de protéines.
Les bâtonnets de poisson achetés chez Migros en contiennent 8,5 %.
Les bâtonnets de surimi M-Budget affichent 9% de protéines.
Les bâtonnets, avec de la véritable chair de crabe, Vici, achetés chez Aligro présentent un taux de 9,1% de protéines.
Le râpé de la mer de Coraya affiche 9,3% de protéines.
Les surimis, bâtonnets aromatisés au crabe, de Carrefour contiennent 9,6% de protéines. Avec seulement 0,6% de matière grasse, leur valeur énergétique est la plus basse de notre test.
Enfin, la pâte de poisson étuvée (Kani Kamaboko) achetée chez Miyai à Genève contient un colorant qui n'est pas admis dans ce type de denrées alimentaires. Par contre cette pâte de poisson est la seule à présenter une teneur en protéines supérieure à 10%, c'est aussi le produit le plus pauvre en matière grasse et glucides de notre échantillonnage.
André Cominoli, adjoint au chimiste cantonal de Genève : « Si on veut avoir une source intéressante de protéines, mieux vaut choisir le poisson qu'une préparation à base de poisson. Dans les poissons, on a 17 à 18% de protéines, alors que dans ces préparations on descend en dessous des 10% de protéines. »
Bref, un produit manufacturé hautement technologique, pas trop calorique à condition de ne pas le consommer avec une mayonnaise...
Dans une fabrique de surimis
A St-Malo, en Bretagne, Jean-Vincent Chantreau s'occupe de transfert technologique dans la filière surimi. Il a assisté à l'arrivée du produit en Europe à un moment où la réflexion sur les ressources halieutiques s'engageait.
Jean-Vincent Chantreau : « Il est évident qu'aujourd'hui la demande ne cesse de croître. En parallèle, il est vrai que les stocks de poisson en mer ont tendance à se raréfier. L'un dans l'autre, il fallait essayer de trouver un équilibre entre cet accroissement de la consommation et la raréfaction des stocks. »
St- Malo, c'est aussi le port d'attache du Joseph Roty, le seul navire-usine qui, en Europe, produit du surimi base. Le bureau d'études de Jean-Vincent Chantreau s'est occupé des installations à bord de ce bateau trentenaire.
« Cela a été une diversification par rapport à certains quotas de pêche, par exemple sur la morue. Le surimi base, en termes scientifiques, est un composé hydraté de protéines myofibrillaires. On ne fait que prendre la chair du poisson, donc ses muscles, après avoir enlevé les arêtes, la peau, les viscères, la tête. Dans cette chair de poisson, qu'on va laver plusieurs fois, on ne va garder que les protéines myofibrillaires qui sont les seules à terme à pouvoir produire un gel protéique. Le surimi n'est qu'un concentré de protéines élaboré à partir de ce qu'il y a de meilleur dans le poisson. »
Le surimi base produit ici avec du merlan bleu est ensuite congelé sous forme de blocs. Le sucre additionné au mélange protège la protéine du froid. La production du Joseph Roty est transformée à terre par la Compagnie des pêches Saint-Malo, propriétaire du navire. On fabrique huit à neuf mille tonnes de surimis par an.
On broie le surimi base avec d'autres ingrédients : de l'eau, du blanc d'œufs, de l'amidon, de l'huile végétale, de l'huile de colza. On ajoute un arôme de crabe également. On malaxe tous ces ingrédients dans un mélangeur.
L'arôme est en partie naturel, en partie de synthèse, pour renforcer le goût du crabe. Les bâtonnets sont colorés, lors de la phase de préparation de la pâte, par un colorant qui est du paprika, un colorant naturel, duquel on retire le goût pour n'obtenir que son rôle colorant.
La qualité d'un bon bâtonnet surimi, c'est à la fois la qualité de la protéine de poisson et sa quantité, donc aujourd'hui les produits hauts de gamme sont aux alentours de 42% de surimi base, ce qu'on appelle chair de poisson. Les produits premiers prix sont de l'ordre de 32 à 35%.
Ensuite, cette pâte est cuite sur un tambour de cuisson, à la vapeur, sous forme d'une bande. Enfin, la bande est enroulée et on obtient le bâtonnet surimi.
Les bâtonnets sont mis en barquettes, qui sont pasteurisées. La vraie cuisson a lieu dans l'emballage final du produit. En effet, la première cuisson vapeur sert à coaguler les protéines. Ce qu'on appelle la vraie cuisson, c'est la pasteurisation dans la barquette. Il n'y a pas de conservateur dans ce produit. La conservation se fait par la cuisson et l'étanchéité des emballages.
Les producteurs imaginent sans cesse de nouvelles saveurs ou d'autres présentations. Si les Européens ne sont pas encore habitués à ce poisson technologique, ils n'en ont pas fini avec ce genre de produit travaillé.
Jean-Vincent Chantreau : « La technologie que nous proposons aujourd'hui permet de préparer du surimi base, ou un autre produit intermédiaire, à partir de poissons gras, sardines, maquereaux, chinchards ou sardinelles, donc on peut exploiter des gisements de poissons, par exemples sur la côte est de l'Afrique et sud de l'Amérique, ce qui permet de préserver la ressource traditionnelle de surimi base, à savoir le colin d'Alaska, et d'utiliser une ressource protéique beaucoup plus importante. »
A noter que le principal producteur mondial de surimi base, ce sont les Etats-Unis au moyen du colin d'Alaska.
Etiquetage du produit
En matière alimentaire, le 19e fut le siècle de la fraude : du chocolat fait avec de la graisse de mouton et du suif, du café avec de la terre, du vin sans raisin ou encore des épinards verdis aux sulfates. C'est pour cela qu'à l'aube du 20e siècle les mouvements de consommateurs ont poussé les Etats à légiférer. En Suisse, c'est en 1905 qu'est promulguée la première loi fédérale sur les denrées alimentaires. Déjà 100 ans, et pourtant on n'est pas prêt d'arrêter la lutte pour être correctement informé.
André Cominoli, adjoint du chimiste cantonal de Genève : « Protéger la santé des consommateurs, assurer la manutention des denrées alimentaires dans de bonnes conditions d'hygiène et prévenir la tromperie, ce sont là les objectifs de la loi sur les denrées alimentaires. »
Sur les douze produits du test, André Cominoli a découvert quelques entorses à la loi.