Travail de nuit, travail qui nuit
En Suisse, un travailleur sur cinq travaille régulièrement de nuit, c'est-à-dire entre 23 heures et 6 heures du matin. Mais les hommes ne sont pas des hamsters ni des chouettes. La nuit, le corps humain est programmé pour dormir et quand on le contrarie, on met sa santé en jeu. Pourtant, tout se passe comme si dans les entreprises on considérait que l'organisme était capable des mêmes performances de nuit comme de jour. Qu'en est-il? Christian Fargues, Mario Fossati et Ventura Samarra ont uni leurs forces pour livrer ce reportage en 24 heures chrono... enfin presque.
La nuit, les gens normaux dorment... en principe
Le fonctionnement de l'organisme suit un rythme de 24 heures, dit circadien. Ce rythme est dicté par une horloge située au cœur du cerveau. La nuit, cette horloge ordonne la production de différentes hormones dont la mélatonine. Sa présence renforce le sommeil et provoque une cascade de réactions physiologiques dans tous les organes du corps. La pression artérielle diminue et la musculature se relâche. Entre 4 et 6 heures du matin, la température du corps atteint son point le plus bas et, en principe, c'est à ce moment-là que le sommeil devrait être le plus profond.
L'horloge interne est extrêmement sensible à la lumière. Comme on ne travaille pas dans le noir, le fait d'être actif la nuit nous y expose et provoque une désynchronisation des rythmes biologiques. Si l'organisme est capable de s'adapter, des perturbations répétées de l'horloge ne sont pas sans conséquences pour la santé. Or, les signaux d'alerte peuvent mettre des années à se manifester. Une chose est certaine, l'homme est un animal diurne et travailler de nuit n'est jamais anodin.
Les études montrent que 20% des personnes appelées à travailler de nuit abandonnent au cours des trois premiers mois, tout simplement parce qu'elles ne le supportent pas. Mais même pour ceux qui parviennent à s'habituer à ces horaires, la fatigue reste un vrai problème et surtout un vrai danger: troubles du comportement et de la mémoire, dépression nerveuse, accidents de travail, accidents de la route en rentrant à la maison. Même si ces risques sont connus, rares sont les entreprises qui ont mis en place de vraies mesures de prévention.
Qui dort gagne
Récupérer après une nuit de travail, c'est possible à condition de respecter quelques règles et de ne pas passer à côté des portes du sommeil. La luminothérapie peut permettre d'envoyer des signaux au corps. L'alternance des couleurs est encore en phase de test, mais l'idée générale est simple: pour maintenir le cerveau éveillé durant la nuit, l'horloge interne a besoin d'une lumière équivalente à celle du jour. Ce décalage horaire artificiel facilite aussi l'endormissement dans la journée. Mais il ne permet pas d'éviter tous les problèmes. En effet, à moins d'être épuisé, on ne s'endort pas sur commande. Trouver un sommeil récupérateur durant la journée exige de se coucher aux bonnes heures.
Le terme de porte du sommeil décrit bien ce que les études ont mis en évidence: au cours des 24 heures, certains moments sont plus propices que d'autres pour glisser rapidement dans un sommeil réparateur. Hors de ces portes, le repos sera moins efficace. Intuitivement, chacun devine où sont les portes principales. Entre 22 heures et minuit, entre 4 et 6 heures du matin et entre 13 et 15 heures. Pour ceux qui rentrent du travail après 6 heures du matin, mieux vaut donc attendre l'heure de la sieste pour glisser dans les bras de Morphée.
Le mieux pour respecter sa santé, quand on travaille de nuit, ce serait d'explorer ses cycles dans un laboratoire du sommeil, mais si vous connaissez un employeur qui offre ça à son personnel, dites-le nous...
Restent les règles simples et connues: au moment de dormir, il faut de l'obscurité, le silence, une température basse et l'estomac léger. Le gros casse-croûte en rentrant, sur le balcon au soleil, ce n'est pas une bonne idée. La séance de zapping télé non plus. L'autre piège, c'est d'aligner les cafés pour rester éveillé. Comme l'effet de la caféine se prolonge, le risque c'est de devoir prendre un somnifère.
On estime que le train du sommeil passe toutes les quatre heures. Il vaut donc mieux dormir en deux périodes, plutôt que de chercher 8 heures d'affilée durant la journée. Ca ne correspond ni à l'organisme ni à la vie sociale.
Ces règles peuvent aider, mais elles n'évitent pas les perturbations de l'horloge interne. Le cerveau ne s'adapte jamais complètement à ces changements d'horaires et on commence seulement à en mesurer les conséquences sur la santé.
Les tumeurs travaillent la nuit...
Travailler de nuit augmente le risque de souffrir un jour d'une maladie cardiovasculaire. Des études ont mesuré cette augmentation : + 40%.
Dans la population suisse, on estime donc que 9% des maladies cardiovasculaires seraient la conséquence directe du travail de nuit. Près de un cas sur 10.
Plusieurs fois par année, le Centre international de recherche sur le cancer réunit des scientifiques du monde entier pour établir le risque cancérigène associé à une substance ou à une pratique. On s'en doute, les travaux de cette assemblée sont suivis de près par les gouvernements, comme par les industriels.
C'est ainsi qu'en octobre 2007, une vingtaine d'experts se sont penchés sur le dossier du travail posté. Une première, jusqu'alors le thème n'avait jamais été associé au risque de cancer.
Le résultat a surpris tout le monde : après avoir comparé les études existantes, notamment celles portant sur le cancer du sein, les experts ont placé le travail posté dans la catégorie de risque 2A. C'est à dire cancérigène probable. Les produits chimiques de cette catégorie, sont, pour donner un ordre d'idée, interdits à l'emploi domestique.
La plupart des entreprises que nous avons contactées ont refusé de nous recevoir. La question du travail de nuit dérange. Il est tellement plus simple de faire comme si l'impact sur la santé de ces horaires était négligeable...
Le travail fut sa nuit
Travailler de nuit augmente le risque de souffrir un jour d'une maladie cardiovasculaire. Des études ont mesuré cette augmentation: + 40%. Dans la population suisse, on estime donc que 9% des maladies cardiovasculaires seraient la conséquence directe du travail de nuit. Près de 1 cas sur 10.
Plusieurs fois par année, le Centre international de recherche sur le cancer réunit des scientifiques du monde entier pour établir le risque cancérigène associé à une substance ou à une pratique. On s'en doute, les travaux de cette assemblée sont suivis de près par les gouvernements comme par les industriels.
C'est ainsi qu'en octobre 2007, une vingtaine d'experts se sont penchés sur le dossier du travail de nuit. Une première, jusqu'alors le thème n'avait jamais été associé au risque de cancer.
Après avoir comparé les études existantes, notamment celles portant sur le cancer du sein, les experts ont placé le travail posté dans la catégorie de risque 2A, c'est-à-dire cancérigène probable. Les produits chimiques de cette catégorie sont, pour donner un ordre d'idée, interdits à l'emploi domestique.
La plupart des entreprises que nous avons contactées ont refusé de nous recevoir. La question du travail de nuit dérange. Il est tellement plus simple de faire comme si l'impact sur la santé de ces horaires était négligeable.
Dans certains secteurs d'activité, comme les hôpitaux, les transports ou la sécurité, travailler de nuit est une nécessité sociale. Dans d'autres cas, le passage au travail de nuit suit une logique différente, celle du marché. Ce qui décide alors des horaires, ce sont les délais de livraison aux clients ou la rentabilité des lignes de production. Les risques de renvoi et la menace de la délocalisation encouragent les employés à accepter toutes sortes de conditions de travail.
Il existe une multitude de types d'organisation du travail de nuit, mais la plupart sont de mauvaises solutions du point de vue de la santé. On sait par exemple que les rotations de poste devraient se faire dans le sens de l'horloge. On commence le matin et on se décale vers la nuit, mais souvent les employés préfèrent un long week-end à cette logique. Comme les conséquences sur la santé ne se manifestent qu'après des années, personne ne mesure l'importance qu'il y a à tout faire pour s'en prémunir. La santé, n'est-elle pas prioritaire?
Vidéo Bonus-web: Jean Parrat, hygiéniste du travail, ingénieur de sécurité, Service des arts et métiers et du travail, Jura
Jean Parrat est hygiéniste du travail. Un étiquette derrière laquelle se cache à la fois un solide bagage théorique - Jean Parrat est le responsable scientifique du laboratoire intercantonal de santé au travail à Peseux (NE) - et une longue pratique de la réalité quotidienne au sein des entreprises de l'arc jurassien. En bonus, l'intégrale d'une interview qui embrasse la problématique du travail de nuit dans sa globalité. Entre pragmatisme et sentiment de révolte.
Plus blanc tu meurs
Blanchir jusqu'à se détruire? Les produits pour s'éclaircir la peau sont de plus en plus utilisés dans les communautés afro-antillaises. Le problème, c'est que bien souvent, ce ne sont pas des cosmétiques, mais des médicaments, comme la cortisone, détournés de leur fonction initiale. Avec pour résultats des dégâts graves sur l'épiderme et même au-delà. C'est désormais un véritable problème de santé publique. Christian Fargues et Serge Enderlin ont enquêté en Suisse Romande et à Paris