Voilà une question comme les chimistes les aiment, car elle fait appel à la compréhension des interactions qui existent entre atomes dans les molécules!

Dans les molécules diatomiques, si les atomes sont identiques (par exemple dioxygène O2, diazote N2, dihydrogène H2), les liaisons formées entre chaque atome sont parfaitement équilibrées, à l’image d’une balance dont les deux plateaux sont à même hauteur: chaque atome contribue équitablement à la liaison et on n’observe aucun déséquilibre dans la répartition des électrons. Ces molécules sont dites "apolaires", c’est-à-dire ne présentant aucune polarité; la polarité d’une liaison exprime le déséquilibre dans la répartition des électrons qui constituent une liaison.

Si les atomes ne sont pas identiques dans les molécules diatomiques (par exemple acide chlorhydrique HCl, chlorure de sodium NaCl), les électrons qui forment les liaisons ne vont pas être répartis de manière équitable: l’atome le plus "gourmand" en électrons (on l’appelle l’atome le plus électronégatif) attire les électrons de la liaison vers lui, au détriment de l’atome qui "affectionne" le moins les électrons (on l’appelle l’atome le plus électropositif).

La liaison ainsi déséquilibrée va présenter une certaine polarité. Plus l’affinité pour les électrons est différente entre deux atomes, plus la liaison qui les joint est déséquilibrée, et plus cette liaison est polaire. Pour reprendre l’image de la balance, l’un des deux plateaux se déplace vers le bas car il est plus lourd que l’autre plateau.

Lorsque la différence d’affinités pour les électrons (on l’appelle différence d’électronégativité entre les deux atomes) est très grande (plus grande que 1.7), le déséquilibre dans la répartition des électrons conduit à une liaison dite ionique, c’est-à-dire une liaison dans laquelle les électrons des deux atomes mis en jeu sont répartis près de l’un seul des atomes. Par analogie avec la balance, l’un des plateaux est tellement lourd qu’il est posé au sol.

Pour les molécules plus complexes, constituées de plusieurs atomes, une notion de géométrie de la molécule intervient pour savoir si ces molécules sont polaires (donc s’il existe un déséquilibre tangible dans la répartition des électrons dans les liaisons) ou non. Il n’y a donc pas que la polarité de la liaison qui entre en jeu, mais également la géométrie de la molécule; dans ce cas, on parle de polarité de la molécule.

Prenons l’exemple de la molécule triatomique de dioxyde de carbone, CO2. Entre l’atome de carbone et chaque atome d’oxygène, la liaison présente une certaine polarité (faible, car la différence d’électronégativité entre ces deux atomes est faible: environ 0.9), MAIS la géométrie de la molécule est linéaire: l’atome de carbone est au centre de la molécule, avec chaque oxygène situé de part et d’autre. La polarisation d’une liaison C–O est par conséquent compensée par la polarisation de l’autre liaison C–O, et la molécule prise dans son ensemble n’est pas polaire.

En revanche, si on prend une autre molécule triatomique, l’eau H2O, la situation est tout autre. Les 3 atomes ne sont pas répartis sur une ligne, mais sous forme coudée : si l’atome d’oxygène est en haut de la molécule, les deux atomes d’hydrogène sont en bas ; ces 3 atomes forment une espèce de triangle. La liaison O–H est polaire (différence d’électronégativité entre ces deux atomes : environ 1.2), ET la géométrie coudée de la molécule fait que les charges négatives appropriées par l’atome d’oxygène (le plus électronégatif des deux) se situent vers le haut de la molécule, tandis que les déficiences en charges négatives du côté des deux atomes d’hydrogène se situent vers le bas de la molécule. Il n’y a donc plus équilibre géométrique dans la répartition de ces charges, et la molécule prise dans son ensemble est polaire.

Dans le cas d’une molécule triatomique linéaire constituée de trois atomes différents (comme l’exemple de l’acide cyanhydrique HCN de notre internaute), la situation est encore différente: on pourrait penser que puisque la molécule est linéaire, elle n’est pas polaire (à l’exemple du dioxyde de carbone), mais ce n’est pas le cas. En effet, la différence d’électronégativité entre l’atome d’hydrogène et l’atome de carbone (environ 0.4 en faveur de l’atome de carbone) d’un côté de la molécule n’est pas compensée par la différence d’électronégativité entre l’atome de carbone et l’atome d’azote (environ 0.5 en faveur de l’azote). Il y a donc une inhomogénéité dans la répartition géométrique des électrons et la molécule est polaire. Preuve en est, que lorsque les molécules gazeuses de HCN sont introduites dans de l’eau, elles se dissocient en protons H+ et en anions cyanure CN-, substance mortelle, parce que les électrons qui constituent les liaisons dans cette molécule sont plutôt répartis vers les attracteurs d’électrons (carbone et azote).