Bonjour Olivier,

Pour tenter une réponse sans être dans le secret du comité d'attribution des Prix Nobel, survolons les 102 Prix Nobel de chimie attribués entre 1901 et 2010 (il n'y en a pas eu 8 fois, en 1916, 1917, 1919, 1924, 1933, 1940, 1941 et 1942) et essayons d'en tirer des informations utiles.

Premièrement, ces 102 Prix Nobel ont été attribués à 156 chercheurs (entre 1 et 3 chercheurs par année), ainsi qu'à 4 chercheuses (en 1911 + 1935 + 1964 + 2009, dont Marie Curie, qui fut la 1ère femme à recevoir la distinction en chimie il y a exactement 100 ans, après avoir également reçu le Prix Nobel de physique en 1903). Certes, les femmes sont sous-représentées dans l'attribution des Prix Nobel de chimie (10 femmes en médecine et physiologie, 12 en littérature, 12 pour la paix), mais tout de même moins qu'en physique (2 femmes) ou qu'en économie (1 femme).

Un seul chercheur a reçu 2 Prix Nobel en chimie (Frederick Sanger, en 1958 et 1980), mais un autre chercheur, Linus Pauling, a reçu 2 Prix Nobel (chimie en 1954; paix en 1962); avec Marie Curie, il y a donc 3 chimistes double lauréats. La famille Curie peut par ailleurs se targuer d'être particulièrement prolifique, puisque Irène Joliot-Curie (la fille de Marie) a reçu le Prix Nobel de chimie en 1935 avec son mari, Frédéric Joliot.

En ce qui concerne les raisons qui ont conduit à l'attribution de ces 102 Prix Nobel, on constate que 70% des sujets à l'origine des distinctions concernent "apparemment" de la chimie pure et dure, tandis que les 30% restant sont liés de près ou de loin à la biologie, aux sciences de la Vie, à l'environnement, à la physique, ainsi qu'aux sciences de la Terre. Il y a donc une grande majorité de Prix Nobels attribués à des chimistes ayant fait des découvertes fondamentales qui sont directement utiles aux chimistes de par le monde et à la compréhension des mécanismes complexes de la chimie; dans ce cas, la chimie nobélisée se nourit d'elle-même.

Deux exemples récents illustrent cette observation:

En 2010, le Prix Nobel de chimie a été attribué (à 3 chercheurs) pour "les couplages croisés catalysés par le palladium en synthèse organique"; rien de tel pour entrer dans le monde de la chimie!

En 2009, le Prix a été décerné (à 1 chercheuse et 2 chercheurs) pour "les études sur la structure et la fonction du ribosome"; une thématique apparemment très biologique!

Cette répartition entre chimie et autres sciences est relativement homogène depuis 1901, bien que la dernière décennie ait vu un léger déséquilibre: On dénombre en effet 5 Prix Nobels (2003, 2004, 2006, 2008, 2009) attribués pour des thématiques en relation avec la biologie et les sciences de la Vie.

Cependant, derrière les "apparences" (p.ex. le titre du Prix décerné en 2009, voir ci-dessus) qui accompagnent l'attribution des Prix Nobel en chimie, il y a une logique implacable: La chimie est une science fondamentale dont le rôle est incontournable dans la plupart des domaines clés de la civilisation. On retrouve des concepts de chimie, découverts par des chimistes, dans des domaines aussi variés que la santé et la nutrition (sciences de la Vie), l'énergie (physique, environnement), le fonctionnement des cellules (sciences de la Vie, biologie).

Par exemple, le Prix Nobel de chimie 2008 a été attribués à 3 biochimistes travaillant aux USA pour "la découverte et le développement de la protéine fluorescente verte GFP" (Green Fluorescent Protein). Cette protéine représente un véritable pas en avant pour de nombreux chercheurs sur la planète, puisque son utilisation permet de visualiser, par microscopie à fluorescence, des organelles et des processus dans les cellules vivantes. Le sujet à l'origine de l'attribution de ce Prix Nobel semble a priori biologique, mais les biochimistes qui ont été récompensés sont avant tout des chimistes spécialistes des biomolécules.

Les frontières entre sciences sont souvent difficiles à tracer, et c'est la raison pour laquelle une science fondamentale comme la chimie peut être honorée pour ses découvertes dans des domaines connexes comme la biologie ou la physique.

A titre d'exemple supplémentaire, Edmond Fischer, chimiste et biochimiste ayant effectué toutes ses études à l'Université de Genève (1 licence en chimie, 1 licence en biologie, 1 diplôme d'ingénieur chimiste, 1 doctorat en chimie organique), a reçu le Prix Nobel de médecine et physiologie en 1992, avec Edwin Krebs, pour "les découvertes concernant la phosphorylation réversible des protéines en tant que mécanisme de régulation biologique". De la science des molécules et des biomolécules à la médecine, l'écart peut sembler grand, mais les mécanismes fondamentaux qui gouvernent notre organisme en sont la démonstration vivante et quotidienne!

En conclusion, les Prix Nobel de chimie ne vont pas toujours à des chercheurs s'intéressant à la biologie ou les sciences de la Vie, mais ils sont attribués à des chercheurs qui font des découvertes fondamentales dans tous les domaines auxquels la chimie peut apporter des explications et des solutions, au-delà des modes et des impératifs de financement de la science.

Une visite de l'excellent site officiel des Prix Nobel s'impose pour creuser le sujet; je recommande donc vivement http://nobelprize.org.