Très vaste question à laquelle nous n’avons de loin pas encore toutes les réponses! Pour simplifier un peu, concentrons-nous sur les fourmis. Avec plus de 14'000 espèces connues au monde, réparties sur tous les continents (sauf les pôles) et colonisant tous les milieux terrestres, les fourmis ont incontestablement trouvé les clés du succès.

Ce succès, elles le doivent en particulier à leur organisation sociale très hiérarchisée. Comme chez la majorité des insectes sociaux (termites, une partie des abeilles et des guêpes), les fourmis se divisent en castes. Il y a d’une part les ouvrières, le plus souvent stériles et assurant l’essentiel des tâches au sein de la colonie, et d’autre part les individus reproducteurs, mâles et femelles (reines), dont la fonction unique est d’assurer la reproduction. Cette spécialisation se manifeste par des caractéristiques morphologiques et physiologiques propres à chaque caste. Les ouvrières sont généralement plus petites, n’ont jamais d’ailes (appendices inutiles pour les tâches qu’elles ont à assurer), et ont une durée de vie plus réduite que les reines (quelques mois, voire 1-2 ans). Leur mort prématurée éventuelle n’est pas un drame pour la colonie qui pourra facilement les remplacer. Les reines sont plus grosses, ailées (au moins au début de leur vie d’adulte, pour leur permettre d’essaimer et de trouver des mâles avec qui s’accoupler, tout en colonisant de nouveaux territoires), avec des ovaires développés qui serviront à la ponte de dizaines, voire centaines de milliers d’œufs qui assureront la relève dans la société. Elles vivent plus longtemps que les ouvrières, entre 10 et 15 ans en moyenne selon les espèces. Les mâles ont un rôle déterminant, celui de s’accoupler avec les futures reines. Ils sont ailés, mais ne vivent que quelques semaines et meurent après s’être reproduits. Pour la société, ils sont un poids mort inutile une fois qu’ils ont accompli la tâche qui leur est dévolue! Pas de retraite dorée pour les mâles, ils seront impitoyablement éliminés s’ils cherchent à revenir dans leur nid d’origine. Cette division en castes permet à chaque individu d’être efficace dans les activités qu’il a à mener. Pas moyen toutefois pour une fourmi de changer de caste: si elle naît ouvrière, ouvrière elle restera toute sa vie.

Le nombre permet ensuite de réaliser des exploits impossibles pour un insecte solitaire. En unissant leurs forces, les fourmis peuvent construire un nid où les reines, œufs, larves et nymphes seront à l’abri des prédateurs et des mauvaises conditions météorologiques. En quelques mois, les fourmis des bois peuvent ainsi ériger un dôme constitué de brindilles, aiguilles de conifères et terre de la taille d’une grosse taupinière. Qui dirige les travaux ? Personne, ou tout le monde. En observant plus en détail le comportement individuel de chaque ouvrière, l’activité de construction est plutôt chaotique. Chaque ouvrière semble travailler dans son coin, sans concertation entre les individus. Deux fourmis peuvent s’intéresser à la même brindille, tout en cherchant à la déplacer dans deux directions différentes… Mais l’intention générale étant la même, à savoir élever un dôme de matériel végétal, la construction finit par prendre forme.

La coopération se manifeste aussi pour la recherche de nourriture. Si une fourmi détecte une abondante source de nourriture, elle peut rentrer à la fourmilière et avertir ses consœurs, leur montrant ensuite le chemin à suivre. S’il s’agit de capturer une proie trop grosse pour une seule ouvrière, l’union fait la force. En se mettant à plusieurs, les ouvrières peuvent s’attaquer à des invertébrés bien trop forts ou volumineux pour une seule fourmi.

Vivre en société peut toutefois présenter des inconvénients. Une fourmilière pleine de fourmis peut devenir une cible intéressante pour des prédateurs. Mais là encore, la coopération est un atout. Certaines ouvrières assurent le rôle de gardiennes, surveillant la colonie contre d’éventuels attaquants. Elles n’ont pas à se soucier de trouver de la nourriture, se faisant ravitailler par d’autres fourmis chargées de cette tâche.

La coopération et la division du travail s’expriment de façon extrême avec la reproduction. Seules les reines se reproduisent, les ouvrières s’occupant de soigner et nourrir les larves, mais ne pondant pas d’œufs elles-mêmes. Les reines peuvent ainsi mettre toute leur énergie à la production d’un grand nombre d’œufs, sans avoir à risquer leur vie à chercher de la nourriture. De leur côté, les ouvrières sont plus efficaces dans toutes les tâches nécessaires au bon fonctionnement de la colonie, sans s’épuiser à pondre.

Tous ces mécanismes d’entraide ne sont possibles que grâce à une communication entre individus. Il faut pouvoir signaler l’arrivée d’un prédateur, communiquer la découverte d’une source de nourriture, ameuter d’autres ouvrières pour réparer rapidement un trou dans le nid, etc. Chez les fourmis, la communication passe par l’utilisation de phéromones, des substances chimiques émises par les individus et reconnues par les congénères comme autant de messages: "danger", "nourriture", "je suis une femelle et je cherche un mâle", etc. La grammaire et le message sont très simples, mais l’information passe.

Société idéale et sans défauts? Ce n’est pas si simple. L’apparente bonne entente entre les individus cache des conflits invisibles. Les fourmis ne coopèrent entre elles que si elles partagent des liens de parenté. Une ouvrière ne peut "accepter" de se sacrifier en défendant la colonie que si les larves qu’elle abrite sont ses sœurs ou proches cousines. Plus subtil, les ouvrières peuvent choisir d’éliminer, en les dévorant, une partie des œufs pondus par la reine. Car si la reine a tout avantage à produire autant de fils que de filles, il n’en va pas de même pour les ouvrières. En raison d’une particularité* propre aux Hyménoptères (ordre d’insectes qui réunit les fourmis, abeilles, guêpes), les ouvrières ont des liens de parenté plus forts avec leurs sœurs qu’avec leurs frères. Elles préfèrent donc élever des sœurs, et éliminent une partie des œufs mâles pondus par la reine. Les conflits de famille existent même chez les insectes!

* les mâles sont issus d’œufs non fécondés. Ils ne possèdent donc que les gènes hérités de leur mère. Les femelles sont issues d’œufs fécondés par un spermatozoïde et possèdent donc la moitié des gènes de leur mère et la moitié de leur père.