Le sel, ou chlorure de sodium (NaCl), est un composé soluble qui se dissocie dans l’eau en ions chlorures Cl d’une part et en ions sodium Na d’autre part. Ces ions sont très abondants dans l’eau de mer où ils représentent près de 85% de tous les solutés. A contrario, le sel est généralement très peu abondant en eau douce.

Les requins sont des animaux aquatiques et possèdent, de ce fait, des adaptations propres leur permettant de vivre dans ce milieu très contraignant pour les organismes qu’est l’eau de mer (il est dense, froid, les gaz nécessaires à la respiration s’y dissolvent mal…). Parmi ces contraintes, la quantité de sels dissous est un facteur important. En effet, de nombreux solutés, dont les chlorures et le sodium, ont une action importante au niveau cellulaire. Leur concentration intracellulaire et leur répartition entre les cellules jouent un rôle-clé dans de nombreuses fonctions. Le maintien de ces différences à l’intérieur de l’organisme résulte d’une régulation très fine et coûteuse en énergie.

Manque de chance pour le requin, le milieu dans lequel il vit est beaucoup plus concentré en sels dissous que son milieu intérieur, et les ions présents dans l’eau de mer ont tendance à vouloir pénétrer à l’intérieur de son corps par simple diffusion. Et ce phénomène est aggravé par le fait que l’eau contenue dans son corps a, quant à elle, une tendance naturelle à vouloir sortir (pour diluer l’océan…). C’est ce qu’on appelle l’osmose. En l’absence de mécanismes de régulation, le corps du requin finirait par avoir la même concentration en sels que l’eau de mer, ce qui ne serait pas compatible avec le maintien de certaines fonctions qui lui sont vitales.

Pourtant, le corps du requin est isosmotique à l’eau de mer, c’est-à-dire que la pression exercée par l’eau pour sortir du requin est la même que celle exercée par l’eau de mer pour entrer dans le requin, et de ce fait, le requin est à l’équilibre (pour l’eau) avec le milieu extérieur. Cette pression exercée est liée à la différence de concentration des composés dissous à l’intérieur et à l’extérieur du requin. A l’extérieur, nous avons vu que les principaux éléments dissouts étaient le chlorure de sodium, alors que, pour l’intérieur, le niveau de NaCl est maintenu beaucoup plus bas. Une sécrétion importante d’urée assurée par le foie (c’est pour cela que la viande de requin un peu faisandée dégage une odeur désagréable d’urine) compense le manque de sel pour assurer l’équilibre. Bien entendu, des mécanismes actifs de maintien de ces concentrations existent. Pour l’urée, la concentration est maintenue constante par sécrétion par le foie, d’une part, et réabsorption par les reins, d’autre part. Car, en effet, la concentration en urée de l’océan étant très inférieure à celle du corps du requin (heureusement pour nous, soit dit en passant), l’urée a naturellement tendance à vouloir en sortir. Pour le chlorure de sodium, c’est l’inverse. Le milieu extérieur étant plus concentré que le milieu intérieur, le sel a tendance à vouloir rentrer dans le requin. Pour limiter cet effet, le requin possède également des systèmes de régulation. En premier lieu, il boit peu, mais surtout il possède un organe spécialisé : la glande rectale. Cette glande située au niveau du cloaque absorbe activement l’excès de sel du corps du requin pour lui permettre de l’éliminer dans le milieu extérieur.

Maintenant que tout est bien réglé pour notre requin et qu’il évolue en parfait équilibre avec l’océan, eh bien, plaçons-le en eau douce…. Catastrophe ! Il se retrouve à devoir lutter contre des effets inverses de ceux pour lesquels il est équipé. L’eau entre massivement à l’intérieur de son corps et il ne peut pas l’éliminer de manière efficace. De même, les sels contenus dans ses tissus quittent massivement son corps (pour saler la rivière…). Bref, notre requin se retrouve dans une situation très critique, l’ensemble de ses cellules éclatant à cause de l’entrée massive d’eau douce, en particulier au niveau de l’épithélium branchial et de ses hématies (ses globules rouges). En quelque sorte, un requin placé en eau douce… se noie. Donc, oui, le sel est un élément important pour le requin, tant à l’intérieur de son corps, qu’à l’extérieur.

Il existe néanmoins quelques rares exceptions. Sur environ 350 espèces estimées, on dénombre 6 espèces de requins d’eau douce appartenant au genre Glyphis et une espèce pouvant passer sans difficulté de l’eau de mer à l’eau douce, le redoutable requin bouledogue (Carcharinus leucas). Ces rares espèces possèdent des adaptations particulières leur permettant cette prouesse.