Nous pourrions également poser la question inverse: et comment se fait-il que les animaux n’ont ni racines ni feuilles ?

L’évolution a conduit à des organismes vivants très complexes présentant en effet des plans d’organisation et des processus de développement très différents. Comprendre comment l’évolution a abouti à de telles différences est une vaste question. Pour répondre le plus précisément possible à cette question il faudrait ici résumer en quelques lignes près de 2 milliards d’années d’évolution, à partir des premiers eucaryotes. Inutile donc d’espérer trouver complète satisfaction dans cette réponse.

En revanche nous pouvons essayer ensemble de comprendre l’intérêt d’avoir des bras, jambes ou pattes (que je regrouperai sous le terme de membres), un cerveau ou des feuilles et des racines, à partir de simples observations. Je développerai des notions générales pour les plantes et les animaux, même si de nombreux cas particuliers existent dans ces deux familles.

La plupart des animaux sont mobiles, ce qui leur permet de se déplacer pour se nourrir, se reproduire, fuir les dangers ou conditions de vie défavorables, et coloniser de nouveaux environnements. Leur plan d’organisation est fait pour pouvoir réaliser ces déplacements en réponse à des besoins ou des contraintes. Ainsi, le système nerveux permet de percevoir des changements dans l’environnement et de gouverner l’activité des membres (et d'interagir entre individus pour les animaux les plus évolués). Ce système de communication est très rapide, ce qui permet à l’animal de se déplacer (ou de mouvoir une partie de leur corps) extrêmement rapidement en fonction des signaux perçus. Les animaux ont également un système de communication plus lent, le système hormonal, qui utilise la circulation sanguine ou lymphatique, et qui gouverne des processus développementaux ou des comportements, notamment sexuels, qui ne nécessitent pas de réaction rapide.

La plupart des plantes ont un mode de vie fixé. Ce sont des organismes autotrophes (qui fabriquent leur propre matière organique à partir d'éléments minéraux puisés dans l'environnement et d'une source d'énergie – dans ce cas la lumière) qui se nourrissent d'éléments minéraux puisés dans le sol (sels minéraux, eau) ou dans l'atmosphère (CO2). Les plantes n'ont donc pas besoin de se déplacer pour se nourrir mais ont besoin d'un système racinaire pour prélever efficacement les ressources minérales du sol et d'un système aérien développé pour absorber le CO2 et capter la lumière.

Pour se reproduire, bien des plantes sont hermaphrodites et portent donc à la fois des cellules reproductrices mâles et femelles, souvent même au sein des mêmes structures (fleurs par exemple). Dans d'autres cas, les cellules reproductrices mâles sont disséminées dans l'environnement au sein de structures spécialisées (grains de pollen) et ainsi transportées (vent, animaux) jusqu'aux cellules reproductrices femelles.

En ce qui concerne la colonisation du milieu, les plantes n'ont pas non plus besoin de se déplacer. En effet, la plupart d'entre elles produisent des spores ou des graines en nombre important. Ces structures sont dispersées par le vent, l'eau, ou à l'aide des animaux, ce qui permet la dissémination de l'espèce.

Enfin les plantes ne peuvent pas fuir les dangers ou les conditions de vie défavorables. En revanche, elles ont une grande plasticité de développement qui permet d'y faire face. Ainsi, une plante a un développement post-embryonnaire ininterrompu jusqu'à la fin de sa vie et peut l'adapter selon les conditions environnementales (croissance vers le soleil, développement du système racinaire en fonction des ressources du sol, floraison plus ou moins tardive et importante, etc). Ceci est possible notamment grâce aux différents méristèmes de la plante (ensemble de cellules non différenciées en division à l'origine des nouveaux organes) et à la totipotence de nombreuses cellules végétales (les cellules sont capables de se dédifférencier, se diviser et former un nouveau méristème et, donc, de nouveaux organes). Ainsi, il n'y a pas d'organe vital chez une plante, contrairement aux animaux, et la destruction d'une partie de la plante peut être compensée par la formation de nouveaux organes, en permanence.

Les plantes ont donc des adaptations et un mode de développement qui leur permet de réaliser toutes les fonctions essentielles d'un organisme sans avoir à se déplacer ou à mouvoir une partie de l'organisme. Elles n'ont donc pas développé de membres ou de système de communication rapide tel que le système nerveux. En revanche, elles ont un système de communication hormonal complexe (de nombreux processus sont contrôlés par l'interaction fine entre de nombreuses hormones) qui leur permet de réguler très précisément leurs réponses de développement aux conditions environnementales changeantes.

En résumé, l'évolution a permis l'émergence de deux types d'organismes complexes très différents qui ont chacun développé des caractéristiques essentielles à leur mode de vie. Et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas parce qu'il est capable de se déplacer qu'un organisme est plus évolué. Si l'on regarde l'espérance de vie comme critère par exemple, les espèces ayant la plus longue sont toutes des espèces végétales (de nombreux arbres peuvent vivre plusieurs centaines d'années).