Il est peu probable qu’une simple privation de la perception visuelle affecte la perception de soi, dont la représentation se forme de manière beaucoup plus complexe, en lien avec nos émotions et notre environnement. La perception est une première étape sensorielle. La représentation d’un visage, ainsi que la représentation de soi, se forme par la suite via une interaction de mécanismes cognitifs de plus haut niveau. Une perception visuelle altérée ne peut donc pas suffire à générer des troubles de la personnalité ou de l’identité (schizophrénie, troubles bipolaire…), même si cette étape du traitement a été montrée comme étant dysfonctionnelle dans ces maladies.

Il existe cependant des personnes qui sont incapables de reconnaître le visage de personnes qu’ils ont déjà rencontrées, tels que ceux de leurs proches, amis et parfois même leur propre visage. Ces personnes souffrent de prosopagnosie. C'est une agnosie visuelle spécifique rendant difficile ou impossible l'identification ou la mémorisation des visages humains familiers. Les sujets atteints de cette pathologie sont capables de voir, mais pas de reconnaître. En effet, leur acuité visuelle est normale, ils sont capables de décrire en détail un visage familier (i.e la perception est correcte), mais n’y associent pas d’identité de reconnaissance. Ainsi, la reconnaissance des visages familiers au quotidien passe par des stratégies alternatives. Par exemple, voici le témoignage d’un gastro-entérologue britannique prosopagnosique de 60 ans, qui ne se reconnaît pas dans un miroir, mais, parfois, sur des photographies:

"En général, je peux me retrouver sur une photographie à condition de savoir que j'y figure. Je l'examine de manière systématique, regardant tous les hommes et attachant une attention particulière aux vêtements : j'ai l'habitude de m'habiller avec des couleurs vives, ce qui m'aide. Souvent je me rappelle quand la photographie a été prise et par conséquent où j'étais et ce que je faisais. Au cours des dernières années, j'ai remarqué que j'avais tendance à pencher sur la droite en raison d'un problème de dos et c'est aussi un bon indice. Sur les vieilles photos d'école, je cherche un garçon de grande taille à côté duquel je sais que je me trouvais et je regarde autour de lui. Mais si la photographie a été prise sans que je m'en aperçoive, c'est bien plus compliqué et, si l'on ne me donne pas d'indices, je n'arrive pas à me trouver moi-même."

On distingue la prosopagnosie acquise à la suite d’une lésion cérébrale au niveau des lobes occipito-temporaux (AVC, traumatisme crânien, tumeurs, crises épileptiques), qui peut aller jusqu’à une incapacité totale (on ne reconnaît pas son conjoint, ni ses propres enfants) de la forme congénitale (i.e. présente à la naissance) (des difficultés, plutôt qu’une impossibilité totale).

Pour aller plus loin et en savoir un peu plus sur cette maladie, vous pouvez lire le livre intitulé "L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau" d’Oliver SACKS (cf. notamment le cas du docteur P.).

Nb: pour l'anecdote, de célèbres scientifiques comme Jane Goodall (primatologue) ou Paul Dirac (le "père" de l’antimatière), mais aussi des people comme Brad Pitt souffrent de prosopagnosie…