Avant de répondre à votre question, revenons sur l’origine de ce chiffre. En 1975, en se basant sur seulement une douzaine de protéines, King et Wilson ont estimé une divergence de 0,7% entre les séquences de protéines chez l’homme et le chimpanzé, arrondi à 1%. De manière intéressante, ce chiffre a été confirmé lorsque, avec le séquençage du génome du chimpanzé en 2005, le répertoire complet des protéines du chimpanzés a pu être comparé à l’homme. Les protéines de l'homme et du chimpanzé sont donc extrêmement similaires, et 29% des protéines sont même parfaitement identiques!

Revenons à la question principale: on peut grossièrement estimer que cette divergence entre les protéines humaines et de chimpanzé correspond environ à un total de 40.000 différences dans les séquences de protéines. C’est beaucoup! Et la somme de ces différences a pu contribuer à générer de nombreuses différences avec nos cousins. En effet on sait que quelques changements seulement dans la séquence d'une protéine peuvent être suffisant pour en modifier la fonction. Par exemple FOXP2 est une protéine nécessaire pour le développement de la parole et du langage chez l'homme. Elle a acquis deux changements de séquence depuis la divergence avec les chimpanzés, qui ont changé la fonction de la protéine, ce qui pourrait avoir modifié les capacités de vocalisation chez l'homme. Les individus chez qui la protéine FOXP2 est inactive ont des troubles sévères de la parole.

Les différences entre séquence protéiques sont donc potentiellement en mesure d'expliquer de nombreuses différences entre les chimpanzés et humains. Mais suffisent-elles à expliquer toutes les différences, y compris les différences de capacités cognitives? Probablement pas! De nombreux chercheurs étudient également les différences dans la séquence d’ADN en dehors des gènes (« ADN régulateur ») qui pourraient avoir un rôle aussi. Ces changements ne touchent pas la protéine elle-même, mais plutôt où, quand et à quel niveau elle est produite dans le corps. Par exemple, des changements dans l’ADN régulateur chez l’humain sont responsables de l'expression d’une hormone, la relaxine, dans le placenta et le corps jaune des ovaires. Ce changement évolutif est sûrement lié à des différences au niveau de la reproduction humaine comparée à celle des autres primates.

Comparé à l'ADN codant pour des protéines, l’ADN régulateur est beaucoup plus abondant! Nous estimons qu'il y a plus de 3 millions de différences entre l'ADN régulateur de l'homme et du chimpanzé. En les incluant, il y a probablement de quoi expliquer la plupart des différences entre l'homme et le chimpanzé. Malheureusement, nous n’y sommes pas encore, c’est une tâche très longue et complexe... Surtout que chez les primates, il est impossible de réaliser des expériences génétiques.

Cela devrait répondre à votre question, mais avant de terminer, je voudrais soulever d'un dernier point: il est difficile de définir et quantifier l'intelligence, et nous ne la définissons sûrement pas objectivement ! En particulier, nous avons tendance à négliger le fait que les chimpanzés sont très intelligents par rapport à d'autres espèces de primates. Ils peuvent apprendre la langue des signes et des maitriser des concepts abstraits, ils ont des émotions et des interactions sociales complexes. Ils sont capables de construire et d'utiliser des outils, de coopérer et de prévoir des actions dans le futur. Il est donc possible que de nombreux changements évolutifs qui ont mené à l’augmentation des capacités cognitives chez l'homme ont été acquis bien avant la divergence avec les chimpanzés, et ont ensuite été potentialisés par des changements ultérieur chez l'homme. Par exemple, la descente du larynx chez l'homme par rapport aux chimpanzés a été un élément nécessaire au développement du langage, mais les structure cérébrales impliquées avaient sûrement evolué bien avant.

Cette réponse a été fournie par la partie publique de  Lausanne, capitale de l’évolution  dans le cadre du congrès de ESEB (Société européenne pour la biologie évolutive) et traduite de l’anglais par Jessica Delhaye, doctorante du département d’écologie et évolution, Université de Lausanne.

Pour aller plus loin:

http://www.reed.edu/biology/professors/srenn/pages/teaching/BIO431S05_2008/431S05_readings/431s05_examples/king_wilson_1975%28classic%29.pdf

http://www.nature.com/nature/journal/v437/n7055/full/nature04072.html