Fort heureusement pour les mâles, la réponse sera courte: non cela n'arrivera pas chez les humains. Pour s'amuser, nous pouvons supposer que les mâles humains puissent disparaître et que les femmes puissent seules donner naissance à des filles qui à leur tour donneraient naissance uniquement à des femelles. Est-ce que ce changement profiterait à la population humaine? Pourquoi investir des ressources dans la production de mâles qui ne contribueraient plus à la croissance de la population étant donné qu'ils ne produiraient plus de descendants? Pourquoi s'embêter à trouver des partenaires sexuels compatibles et prendre le risque de contracter des maladies sexuellement transmissibles? Bizarrement, bien que les avantages liés à l'arrêt de la production de mâles soient importants, dans la nature, selon toute probabilité, seulement 1% des animaux sont constitués uniquement de femelles asexuelles et ces lignées sont généralement assez jeunes (par exemple certaines puces d'eau, guêpes parasitoïdes, thrips…).

Quand les mâles et les femelles se reproduisent, leurs génomes se mélangent, les descendants résultent d'un brassage entre  la mère et le père. Au contraire dans les lignées asexuelles comme il n'y a pas de brassage, les filles sont identiques aux mères. La conséquence est que les mutations potentiellement délétères ne peuvent pas être éliminées car les 'mauvaises' copies du génome ne sont pas compensées par la 'bonne' copie de l'autre  des parents. Ces lignées asexuelles vont probablement accumuler avec le temps des mutations délétères, facteurs de dégénérescence et d'extinction. De plus, comme ces lignées asexuelles ne parviennent pas à combiner rapidement des mutations positives (par exemple des mécanismes de défense) qui sont réparties chez différents individus, elles ont un risque accru d'extinction en cas de transformations de l'environnement ou en présence de parasites.

Tout cela est néfaste à long terme.

Bien sûr, il existe certaines exceptions pour lesquelles les asexuels ne sont pas sujet à une extinction précoce. Par exemple, chez les phasmes Timema, les acariens Oribatida et les rotifères Bdelloidea sont composés d'individus asexuels depuis des millions d'années. Ils ont réussi à survivre au cours du temps malgré l'absence de femelles. Cela n'est sans doute possible que si ces individus possèdent certaines caractéristiques (par exemple les rotifères sont capables d'échanger du matériel génétique en l'absence de sexe et de recombinaison).

Il semble donc clair que pour la plupart des animaux, il est néfaste de ne pas posséder de mâles. Les humains sont-ils donc menacés de devenir asexuels à cause de la dégénération du chromosome Y?

La détermination du sexe (le fait qu'un individu devienne mâle ou femelle) est dans beaucoup d'espèces contrôlée par une région particulière d'un chromosome (Y chez les mâles de l'espèce humaine). Cela évolue à partir d'un chromosome normal qui après avoir acquis ce locus et d'autres régions génétiques qui contrôlent les fonctions mâle et femelle, arrête de recombiner. Ce nouveau chromosome ne prendra pas part au processus de brassage génétique durant la reproduction sexuelle, exactement comme dans une lignée asexuelle. Comme décrit ci-dessus – uniquement à l'échelle du chromosome et non à l'échelle du génome – les mutations délétères ne peuvent être éliminées, et la dégénérescence est initiée. De larges portions de ces parties dégénérées peuvent être perdues au cours du temps et cela crée la forme Y caractéristique. Actuellement, une dégénérescence est observée chez la mouche du fruit Drosophila miranda, chez qui le nouveau chromosome Y n'est âgé que d'un million d'années mais comporte déjà de grandes parties dégénérées. Chez certaines espèces, par exemple les vers ronds, cela peut conduire la perte complète du chromosome Y. Néanmoins, les vers ronds continuent de produire des mâles et cette perte ne semble possible que si un autre mécanisme de détermination du sexe a été inventé au préalable dans une autre région. Donc les mâles continuent d'exister.

Chez la plupart des mammifères, les chromosomes Y sont largement dégradés. La bonne nouvelle est que le chromosome Y des humains semble avoir été stable depuis les 30 derniers millions d'années, depuis la séparation, à partir de l'ancêtre commun, des humains et des macaques.

Donc fort heureusement pour les humains, la stabilité du chromosome Y et le fait qu'il n'existe aucun exemple de mammifères asexuel (parce que chez les mammifères, la transition de sexualité à asexualité implique la perte de certains mécanismes) suggèrent que le scénario d'une société composée uniquement de femelles est très peu probable.

Cette réponse a été fournie par la partie publique de  Lausanne, capitale de l’évolution  dans le cadre du congrès de ESEB (Société européenne pour la biologie évolutive) et traduite de l’anglais par Jessica Delhaye, doctorante du département d’écologie et évolution, Université de Lausanne.

Pour aller plus loin:

Bachtrog D (2013) Y-chromosome evolution: emerging insights into processes ofY-chromosome degeneration. Nature Reviews Genetics,14:113–124.

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4120474/

Rotifers without sex

http://voices.nationalgeographic.com/2013/07/25/how-to-survive-50-million-years-without-sex/

One asexual mammal produced in the lab as proof of concept: mice without father

http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/3643847.stm

Why asexual mammals do not exist

https://en.wikipedia.org/wiki/Genomic_imprinting