A question simple, réponse complexe! Au premier coup d'œil, le monde des humains semble se diviser en deux: hommes et femmes. Les différences sautent aux yeux. Au point que cette division se retrouve dans le langage: le féminin et le masculin. En français, contrairement à l'anglais et l'allemand, nous n'avons pas de troisième genre, comme le neutre. Cela accentue encore l'idée d’un monde binaire, divisé entre hommes et femmes. Comme le disait Roland Barthes dans son discours inaugural au Collège de France en 1971: "je suis obligé de toujours choisir entre le masculin et le féminin, le neutre ou le complexe me sont interdits". Quel lien avec la détermination biologique des sexes, me direz-vous? Vous allez le comprendre en lisant la suite.

Nous avons tous appris que le sexe des humains et déterminé par les chromosomes dits "sexuels". Lorsque l'on a hérité de deux chromosomes X, on est une fille, tandis que lorsque l'on a hérité d’un chromosome X et d’un chromosome Y, on est un garçon. Voilà pour la théorie, qui fonctionne assez bien. Or, dans la pratique, les choses sont nettement plus compliquées. Comme l'explique très bien Ariane Giacobino, des Hôpitaux universitaires de Genève[1], "le sexe est pluriel! Il est génétique, déterminé par les chromosomes. Mais il est aussi gonadique (selon que l'on possède des ovaires ou des testicules), hormonal, phénotypique (selon ce que l'on voit) et, enfin, social (selon le genre dans lequel l'enfant est élevé)".

Ce que l'on apprend, en effet, en étudiant dans le détail la détermination des sexes chez les humains, c'est que ce monde, en apparence parfaitement binaire, séparé en hommes et femmes, n’existe pas! "En se limitant au sexe génétique, même si naturellement les XX et les XY prédominent, il existe bien d'autres combinaisons: certaines personnes sont XXY, XO, XXXY, etc", nous dit encore Ariane Giacobino. Et, plus loin: "Jusqu'à six semaines, le fœtus n'a pas de sexe. Mais il possède déjà le programme de son développement sexuel, avec les chromosomes. La testostérone, par exemple, permettra le développement du pénis. Cependant, la différentiation sexuelle, qui commence avec la formation d'ovaires ou de testicules, se construit petit à petit et en cascade. La biologie ne trace pas de frontière précise entre garçons et filles (c'est moi qui le souligne). En fait, nous avons tous un peu de l'autre sexe, mais à des degrés variables! Au point où des individus possédant les chromosomes sexuels d'un sexe développent les organes sexuels de l’autre! Cela arrive lors d’une naissance sur 20’000 garçons (ce nouveau-né aura donc des chromosomes XX) et une sur 10'000 filles (qui aura des chromosomes XY). Ce qui n'est pas fréquent, mais pas rare non plus! Pour ces dernières, le corps évolue en fille, les organes sexuels sont féminins, mais elles n'auront ni utérus, ni ovaires. Elles seront stériles. Parfois aussi des individus présentent les deux types d'organes sexuels. On parle alors d'hermaphrodites.

Il y a donc une réalité chromosomique, mais aussi une réalité d'expressions génétiques et d’actions hormonales, qui font que la détermination des sexes est bien plus compliquée que ce que l'on peut imaginer a priori, ou, plus grave, que ce que l'on peut apprendre à l'école! "La biologie ne trace pas de frontière précise entre filles et garçons", résume Ariane Giacobino. Une phrase à méditer longuement dans un monde que la plupart d'entre nous pensons divisé en deux, comme le veut le langage! Citons encore Roland Barthes à ce propos: "en chaque signe (ou mot) dort ce monstre: un stéréotype". Les mots ‘femmes’ et ‘hommes’ étant évidemment de parfaits exemples. Le langage contribue à nous donner une vision réductrice de la réalité. D'où tout l'intérêt de la démarche scientifique: elle nous aide à nous méfier du prêt-à-penser, autrement dit des mots! Et donc, aussi, d'ouvrages qui vous expliquent que les femmes viennent de Vénus (déesse de l’amour) et les hommes de Mars (dieu de la guerre). Mais, comprenez-moi bien, je ne suis pas entrain de dire que les différences sexuelles n'existent pas. Sinon, je ne serais pas là pour vous en parler.

Encore quelques mots sur le sexe social mentionné plus haut. Les humains sont des êtres de culture. Ce qui veut dire qu'ils apprennent leurs comportements de leurs congénères. Y compris ce que l'on appelle le comportement "de genre", soit le comportement associé à un sexe. Dans nos sociétés occidentales, cela donnait au milieu des années 1950 une distribution binaire des tâches du couple: les hommes travaillent et ont des maîtresses, les femmes s'occupent des enfants, font la lessive et dépriment. Comme nous le montre la série américaine "Mad Men". Beaucoup de gens ont pensé que cela correspondait à un ordre naturel, dû à la différence entre les deux sexes. Depuis, ce schéma réducteur a subi quelques attaques. La répartition des rôles entre les deux sexes s'est redistribuée. Et, curieusement, nos sociétés occidentales en sont toujours là. Plus dominantes que jamais. Mais certains ont encore du mal à accepter cette nouvelle répartition des rôles. Car l'humain n’est pas seulement un être de culture, mais aussi un être de pouvoir. Mais ça, c'est une autre histoire.

[1] Ces enfants entre masculin et féminin, Pierre Lederrey, Migros magazine, numéro 14, 31 mars 2014.