Comme souvent, pour répondre, il faut tout d’abord identifier les éléments déterminant (variables) ainsi que les relations entre ces éléments permettant ensuite d’évaluer les conséquences. Dans le cas particulier, il s’agit de comprendre ce qu’est la noyade et ce qui engendre les dégâts au corps en générale et sur le cerveau en particulier.

Les formes de noyades:

On distingue habituellement deux formes de noyades.

1)La noyade primaire résultant d’un épuisement ne permettant plus la flottaison.

Dans ce cas, déjà épuisé, l’individu inhale progressivement de l’eau (boit la tasse) et s’asphyxie progressivement avant même de couler. Les conditions de l’environnement telles que la température, la salinité et la propreté chimique et bactériologique de l’eau auront un impact important sur les chances de survie sans séquelles. Le noyé est en général bleu.

2)La noyade secondaire résultant d’une défaillance altérant la conscience et provoquant un arrêt respiratoire avant l’immersion.

Ici, la défaillance s’ajoute comme une variable supplémentaire qui souvent détermine le pronostique à elle seule. Le noyé est en général blanc

En eau froide, le type de noyade est largement débattu. Certains évoquent qu’il s’agit le plus fréquemment une noyade primaire, le sujet n’étant plus capable de nager, pris de crampes et d’engourdissement. D’autres favorisent l’hypothèse de la noyade secondaire résultant d’une syncope liée à l’hypothermie. Probablement que la stature et la qualité de nageur ainsi que la présence ou non d’aide à la flottaison influence le type de noyade.

La noyade

La noyade se décompose en 4 phases :

Phase 1 – phase d’apnée, de durée variable allant d’une minute mais pouvant s’allonger avec l’entraînement. Le record mondial établi le 8 juin dernier par Stéphane Mifsud est de 11 minutes 35 secondes:

Apnée réflexe avec fermeture de la glotte étanchéifiant les voies respiratoires

Ralentissement de la fréquence cardiaque

Augmentation de la pression artérielle suivie d’une baisse.

Phase 2 – reprise reflexe de mouvements respiratoires durant environ 3 minutes

Mouvements respiratoires responsables d'une inondation broncho-alvéolaire

Hypertension artérielle

Tachycardie

Perte de connaissance par hypoxie plus ou moins suivie de mouvements convulsifs

Phase 3 – mort apparente (4 à 10 minutes):

Arrêt respiratoire

Chute de la tension artérielle avec une circulation sanguine inefficace

Phase 4– arrêt cardiaque réversible (3 minutes)

Arrêt de toute activité cardiaque aboutissant à une lésion irréversible du tronc cérébral déterminant la mort.

Statistiquement les chances de survie suite à une noyade déclinent rapidement avec le temps de submersion. Le tableau ci-dessous donne un aperçu :

Temps de submersion - % de survie

1 minute - 95

3 minutes - 75

6 minutes - 25

8 minutes - < 3

La température de l’eau froide prolonge significativement la durée de submersion associée avec une chance de survie. Le record pour une survie sans séquelle a été observées après une submersion en eau froide allant jusqu’à 66 minutes. Michelle Funk, 2 ans et demi, est tombée dans un lac de retenue de l’Utah River en 1986 et y est resté immergée durant au moins 66 minutes. Sa température corporelle était de 19°C. Le Dr Bolte a progressivement réchauffée l’enfant par une circulation extracorporelle durant 53 minutes. La jeune patiente a redonné des signes de vie quand sa température corporelle a atteint les 25°C. Par la suite, elle a progressivement récupérée sur plusieurs semaines, retrouvant toutes ses facultés après 1 mois. Deux ans après l’accident l’examen clinique permettait de conclure à un développement parfaitement normal.

D’un autre point du vue, l’hypothermie permet effectivement de limiter les dégâts cérébraux lors d’un arrêt cardiaque. Le métabolisme cérébral (besoin en oxygène et glucose pour survivre) est réduit de moitié à 30°C, au quart à 25°C et à un sixième à 15°C. La technique d’hypothermie contrôlée (18-20°C) permet donc d’effectuer des interventions avec arrêt de la circulation cérébrale durant 30 à 40 minutes sans séquelle neurologiques durable. L’hypothermie modérée (34°C) est fréquemment utilisée pour protéger le cerveau lors d’intervention affectant la circulation sanguine cérébrale. L’hypothermie sévère (< 32°C) est plus rarement utilisée car elle se grève de complications affectant la coagulation du sang et le taux d’infections.

Toutefois d’autres paramètres entre en compte

Un reflexe ancestral de plongée, particulièrement présent chez les petits enfants limite l’entrée d’eau, ralenti l’activité cardiaque et ferme tous les vaisseaux à destination des membres en cas de chute dans l’eau froide. Ce reflexe permet de contourner la phase 2 de reprise d’une activité respiratoire. Ceci permet d’éviter les conséquences de l’inhalation d’eau.

La noyade en eau douce est en générale 3 fois plus sévère qu’en eau de mer. L’eau douce pénètre dans les poumons en plus ou moins grande quantité. Si plus de 11ml d’eau/kg de poids corporel sont inhalé, l’eau dilue le sang. Au-delà de 22ml/kg la dilution provoque l’éclatement des globules rouges. En éclatant, les globules rouges :

1)libèrent l’hémoglobine, réduisant la capacité sanguine de transporter de l’oxygène.

2)libèrent du potassium qui provoque une dépolarisation des muscles et cellules neuronales. La dépolarisation des cellules favorise une hyperactivité désorganisée résultant en fibrillation musculaire et convulsions ce qui augmente la consommation d’énergie. Le cœur se contracte de façon asynchrone soit en fibrillation cardiaque et ne circule plus le sang dans les vaisseaux.

Certains organes augmentent ainsi leurs besoins alors qu’ils ne peuvent plus bénéficier d’éventuelles réservent accumulées ailleurs dans le corps à la fois parce que le sang ne peut plus transporter de l’oxygène ou le dioxyde de carbone (CO2) mais également parce que le sang ne circule plus. Ceci précipite donc le décès.

En cas de sauvetage, l’inhalation d’eau douce complique la réanimation puisqu’elle altère beaucoup plus les équilibres physico-chimiques que l’eau de mer. Lors de la reprise d’une ventilation la reprise d’une activité cardiaque efficace est plus précaire. Le haut potassium sanguin doit être corrigé pour permettre à nouveau une contraction organisée. Une fois l’activité cardiaque à nouveau efficace, l’augmentation du volume sanguin par l’eau douce ayant diluée le sang surcharge le cœur qui peut défaillir à nouveau. Le transport d’oxygène et de dioxyde de carbone est diminué par la perte de globules rouges. La re-oxygénation de l’organisme est donc plus lente.

L’eau douce est également associée avec un risque plus important d’infections pulmonaires. Les cas sévères auront donc d’autant plus de risque de succomber. Le chlore des piscines provoque des lésions pulmonaires qui vont aussi ajouter une forme supplémentaire de défaillance pulmonaire rapidement après le sauvetage et risque d’aggraver le pronostique.

L’eau de mer aspirée dans les poumons agit à l’inverse de l’eau douce et extrait sels et protéines du sang. Le volume sanguin diminue et se densifie. La concentration de globules rouges augmente. La concentration de sodium augmente. Dans certaines mesures ces deux phénomènes peuvent être compensés et même favoriser la survie. La défaillance provient de la rigidification progressive du thorax dont l’air est remplacé par un liquide de plus en plus dense. Les contractions du cœur deviennent progressivement de moins en moins efficaces parce que l’effort devient de plus en plus important et les sources d’énergie de plus en plus rare. Le cœur s’arrête d’épuisement, les autres organes meurent ensuite.

En cas de sauvetage lors d’une noyade en eau de mer, la principale difficulté est de regonfler les poumons. Aussi bien l’eau douce que l’eau de mer dilue un liquide de protection (le surfactant) qui facilite le maintient ouvert des alvéoles. En effet sans ce liquide les parois humide des alvéoles restent collées ensemble comme un rideau de douche humide contre un carrelage. L’insufflation d’air dans les poumons par le « bouche à nez » permet progressivement de vider les poumons de l’eau et de regonfler les alvéoles. Les soins visent ensuite à corriger l’excès de sel et le manque de protéines dans le sang.

Ainsi la température de l’eau n’est qu’une variable parmi d’autres déterminant les chances de survie en cas de noyade.