Ulysse se languit sur la plage d’une île abandonnée. La nymphe Calypso l’a recueilli après son naufrage et le garde captif loin d’Ithaque, sa terre natale. Regardant la mer, il pense à sa patrie, cède parfois aux larmes, revient à la joie, au plaisir que le souvenir des siens suscite. Cette scène de l’Odyssée est emblématique. Elle met tout d’abord en lumière l’étymologie grecque du mot : nostos : « retour », et algos : « souffrance, douleur ». Ulysse en exil ne veut que regagner son foyer, sa famille, Pénélope et Télémaque. Elle présente, également, un autre plan, caractéristique de l’ambivalence de ce sentiment : Ulysse s’arrache à son présent malheureux et se réfugie dans sa mémoire, qui devient même, à ses yeux, une nouvelle patrie. Le passé restauré diffuse dans le présent comme un apaisement momentané.

Oui, la nostalgie est une émotion, mais une émotion complexe. Elle est un mélange, un alliage fait, pour partie, d’un pan sombre, qui oscille entre la tristesse, le regret et l’ennui. On la qualifia même de maladie : au XVIIe siècle, « nostalgie » fut le nom donné à l’abattement pathologique dont souffrait certains mercenaires suisses venus combattre en France. On disait alors que le climat ne leur convenait pas, que les plaines autour de Paris étaient d’altitude trop basse pour leur nature montagnarde. Ils soupiraient loin de la cime des Alpes, le mal du pays au cœur.

La nostalgie se teinte cependant d’un gris plus léger que la noire mélancolie. Elle ne saurait être uniquement négative. Ainsi que pour les émotions dites « primaires » (la colère, la peur, la surprise etc.), il peut surgir comme un épisode émotionnel et notre corps en ressent la piqûre, nos pulsations s’accélèrent, notre souffle peut être coupé. Mais le plus souvent l’épisode se prolonge, et non seulement la nostalgie peut indiquer une humeur, mais surtout elle devient un sentiment qui a une longue durée. Une photographie peut nous plonger dans un état nostalgique ; alors les objets autour de nous renvoient incessamment au passé – un passé que l’on sait perdu à jamais, mais que l’on revisite d’un coup d’œil qui se prolonge dans nos pensées ; notre sourire ou nos larmes traduisent ce mouvement.