Bonjour Yasmine, et merci pour cette belle et vaste question! Nous allons la préciser en définissant ce que nous appellerons vêtement. Un vêtement est un objet extérieur au corps utilisé pour le protéger de dangers de l’environnement – tels que froid, vent, pluie, brûlure du soleil…ou regard des autres. Ce regard peut être dangereux si c’est celui d’un prédateur ou d’un ennemi, dont on doit se cacher. Alors, le vêtement sert de camouflage. Ou bien le regard est perçu comme dangereux parce qu’une règle sociale interdit de montrer telle partie du corps à certains, ou à tous ses congénères.

Le vêtement-camouflage n’est pas une exclusivité humaine: d’autres espèces animales protègent des parties vulnérables de leur corps avec des objets extérieurs. C’est le cas des Bernard l’Hermite, crustacés marins qui protègent leur abdomen mou et vulnérable dans une coquille d’escargot mort. Certains la décorent ou la cachent en plantant dessus des anémones de mer avec lesquelles ils vivent en symbiose! Des larves d’insectes comme les Phryganes, appelées aussi porte-bois, vivent au fond des eaux douces, dans un fourreau soyeux renforcé de brindilles ou de grains de sable, puis se métamorphosent en une sorte de papillon aérien.  Dans un autre genre, des Orang-Outangs, des Bonobos ou des Chimpanzés se protègent de la pluie ou du soleil en tenant de grandes feuilles ou des branches au-dessus de leur tête. Certains, en captivité, se cachent des visiteurs de zoo en se couvrant de couvertures ou de paille, s’ils en ont à disposition.

Une autre partie de la question doit être discutée: sous des climats favorables, les humains ne sont pas "obligés" de se vêtir. De nombreuses sociétés traditionnelles vivaient complètement nues ou presque, en particulier en Afrique, en Papouasie Nouvelle Guinée, en Australie et en Amazonie. Les vêtements en tissus étant rapidement détruits par le temps et le climat, nous n’avons presque pas d’informations sur ceux que portaient peut-être des humains de la préhistoire ancienne, à part des ornements de perles ou de coquillages, ou bien des restes de colorants qui ont pu servir à des peintures corporelles. Comme celles qui persistent, ici et là, de nos jours. Ces peintures, qui modifient le corps pour le rendre beau ou terrifiant ne sont pas, à proprement parler, des vêtements, mais peuvent avoir les mêmes fonctions. Sinon, il est hautement probable que les premiers humains, en Afrique il y a plus de deux millions d’années, puis les premiers humains modernes comme nous, toujours en Afrique, il y a trois cent mille ans, vivaient nus comme leurs ancêtres primates, mais ce n’est pas prouvé.

Se vêtir n’est une obligation biologique que dans des conditions extrêmes, comme les conditions polaires, ou pour des humains actuels qui ont pris l’habitude de se constituer un microclimat tropical, quel que soit l’endroit où ils vivent. Mais c’est surtout une obligation sociale dans de nombreuses cultures qui ont des traditions très différentes par rapport à la nudité. Si certaines préconisent le nudisme comme pratique de santé, de bien-être et d’hygiène, d’autres exigent la dissimulation du tout ou de certaines parties du corps, avec, la plupart du temps, des discriminations de genre, de classes sociales et pas mal de contradictions! En Inde, des "hommes saints" très religieux se promènent entièrement nus. De même, d'"anciens esclaves", en Afrique de l’Ouest, peuvent se déshabiller sur la place publique en faisant rire, alors que ce serait la honte totale pour n’importe qui d"autre. Les parties du corps que l’on doit dissimuler varient beaucoup selon les cultures: la bouche pour les touarègues mâles, le visage féminin dans une partie du monde arabe, les seins féminins pour les occidentaux, les organes génitaux dans de nombreuses cultures, mais pas toutes. J’ai souvenir de bonnes sœurs catholiques au Sénégal, à qui des femmes aux seins nus reprochaient leur indécence parce que leurs robes-blouses grises laissaient voir leurs mollets - qu'il fallait couvrir d’un pagne pendant la fête! Et puis, il faut aussi mentionner l’ambiguïté fréquente des vêtements masquant certaines parties du corps. Les soutiens-gorge exagèrent souvent le volume des seins comme les étuis péniens de Papouasie ou de Guinée exagèrent celui de modestes pénis. Certaines culottes masculines du moyen- âge suggéraient un volume considérable d’un appareil génital relativement petit. Il a aussi été suggéré que la cravate, au départ strictement masculine, était un "pénis culturel" marqueur de dominances sociales.

Avec le langage, les cultures et la production de nombreux artéfacts artificiels, dont les vêtements, les humains ont donné de nouvelles dimensions à l’évolution des espèces, pour le meilleur et pour le pire. Ils n’ont pas été "conçus" pour se vêtir, mais sont le résultat d’une histoire culturelle très particulière, dans laquelle on a l’obligation ou le choix de se vêtir ou pas, de cacher ou montrer son visage, ses seins, ses fesses ou son sexe, selon l’arbitraire des règles sociales. Et l’obligation de cacher débouche souvent sur le désir ou l’obsession de voir ou de montrer. Il suffit de faire un tour sur Instagram pour voir à quelle épidémie malsaine d’exhibition de seins et de fesses conduit l’interdiction de montrer des tétons ou une raie des fesses…