Slogan de Marine Le Pen. [Jean-Paul Pelissier]
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Quelques principes du populisme

"Populiste" est souvent utilisé comme une injure, une invective entre protagonistes de la sphère politique qui chercheraient à éluder les critiques. Mais au-delà de cet usage galvaudé, subsiste le flou d’un terme dont le sens varie selon le contexte. Voici quelques grands principes pour tenter de définir le populisme ou plutôt les populismes d'aujourd'hui.

Une définition

Distinction entre sa forme "protestataire" et celle "identitaire".

Pierre-André Taguieff distingue deux formes de populismes. D'un côté, une forme "protestataire" mettant l'accent sur la dénonciation des élites politiques, économiques et de leur présumée corruption.

Il serait d'obédience de gauche et s'adresserait aux "sans-grade" ayant subi une dégradation de leurs conditions de vie matérielles à cause de la "mondialisation financière".

Le populisme "identitaire"s'appuierait davantage sur le sentiment de perte des valeurs immatérielles, culturelles, qui seraient mises en péril par "l'étranger". Un discours qui ciblerait les classes moyennes.

Dominique Reynié y voit, quant à lui, deux dimensions pas forcément exclusives dont la combinaison pourrait expliquer le succès actuel de marine Le Pen.

Une stratégie

Le populisme peut épouser diverses idées politiques, de droite comme de gauche. Il n'est pas une idéologie.

Le populisme ne s’incarne ni dans un type défini de régime politique, ni dans des contenus idéologiques déterminés, selon la définition du philosophe Pierre-André Taguieff.

Le populisme s’apparente donc plus à un "style politique" doublé d'une stratégie de conquête du pouvoir qui seraient constituée d’un ensemble d’opérations rhétoriques exploitant la symbolique de certaines représentations sociales.

Le populisme peut ainsi se mettre au service de toutes les idéologies politiques, qu'elles soient d'extrême-droite, de droite, de gauche, ou d'extrême-gauche. Et même du centre, relève le politologue Yan-Werner Müller, en citant l'exemple de Geert Wilders aux Pays-Bas.

Un peuple

Le populisme conçoit le peuple comme "un et indivisible".

La rhétorique populiste se fonde sur "l'appel au peuple tout entier", entité homogène idéalisée qui ne recoupe pas la réalité sociale et politique, nous explique Dominique Reynié. La société dans sa diversité, avec ses groupes sociaux, ses classes et ses représentations collectives, n'est pas prise en compte par les populistes.

Ce peuple mythifié ne peut être considéré que de deux manières. Soit par son caractère ethnique, défini par une origine ou une culture commune. Soit par sa composante de "sans-grade", écartés de la richesse.

Une légitimité exclusive

Les populistes se revendiquent comme étant les seuls légitimes à représenter le peuple et sa volonté.

Les populistes se caractérisent par une vision anti-pluraliste de la démocratie à travers la revendication du monopole de la représentation populaire.

Une affiche de l'UDC pour les élections cantonales 2011. [Keystone - Dominic Favre]


Ils seraient les seuls représentants du peuple véritable, tous les autres partis étant, d’une manière ou d’une autre, illégitimes. Le populiste prône un "contrat", selon lequel il exprimerait l'authentique volonté du peuple.

Une rhétorique outrancière

Les attaques ad hominem sont privilégiées dans le discours.

Sur le plan rhétorique, le populisme se caractérise par le recours systématique à la démagogie et à l'outrance. Des traits qui se retrouvent dans la mise en cause personnelle des adversaires et non de leurs arguments seulement. Dominique Reynié précise que la radicalité du discours populiste le rend spectaculaire et à certains égards attractif.

Des boucs émissaires

La rhétorique s'appuie sur la désignation de responsables, de coupables d'une situation de crise présumée.

L'articulation est binaire, elle dresse le peuple contre ceux qui auraient conduit le pays dans la crise économique et mis en danger de son identité: les petits contre les gros, les innocents contre les coupables.

Ceux d'en face

Les premiers responsables viendraient d'ailleurs. La figure de l'étranger-envahisseur nourrissant l'imaginaire de l'exclusion est omniprésente. La défense de l'identité nationale implique dans le discours populiste la dénonciation de l'immigration-invasion.

Ceux d'en haut

Les populistes considèrent que des élites immorales et parasitaires viennent constamment s’opposer à un peuple moralement pur. Elles sont ainsi accusées de former une caste à la fois extérieure à la société et détachée de la nation. Elles sont parfois assimilées au "parti de l'étranger" ou au "parti des étrangers".

Ces élites en question sont la classe politique dirigeante, la justice, les patrons de grandes entreprises ou les médias. Des accusations, fondées ou non, de corruption leur sont souvent adressées.

Leur incompétence présumée est aussi stigmatisée. Christoph Blocher, par exemple, fait même la distinction entre les "fausses" élites et les élites "authentiques" qui accomplissent leur mission "avec l'ardeur et l’aptitude requises peuvent être reconnues", les élites ne satisfaisant pas à cette exigence devant être "immédiatement écartées et remplacées". Les institutions européennes ou "la finance internationale" sont aussi des cibles privilégiées.

Un leader charismatique

Le chef est souvent le porte-voix exclusif du discours anti-système.

Le politologue Federico Tarragoni définit le populisme comme une relation politique entre un porte-parole et un collectif d’exclus ambitionnant de ''devenir peuple''. La stratégie populiste pousse à l'hypersonnalisation du mouvement à travers la figure charismatique d'un leader à la fois "viril" et "honnête", relève Pierre-André Taguieff.

Beppe Grillo, fondateur du Mouvement 5 étoiles. [Reuters - Remo Casilli]

Le chef est le porte-voix du discours anti-système. Il est souvent le seul à s'exprimer, à la différence des partis de gouvernement dont la parole est portée par plusieurs représentants, parlementaires ou élus locaux, souligne Dominique Reynié.

Contourner les médias

Les populistes rejettent les médias traditionnels pour privilégier leurs propres organes de diffusion.

L’une des spécificités du populisme, constate Pierre-André Taguieff, est le rejet des médiations, jugées "inutiles, limitatives ou nuisibles". Les médias sont ainsi considérés comme faisant partie d'une élite protégeant le système.

Marine Le Pen choisit les médias qui peuvent la suivre. [keystone - EPA/Sebastien Nogier]keystone - EPA/Sebastien Nogier
La campagne présidentielle française marquée par un regain de tensions entre politiciens et médias / Tout un monde / 5 min. / le 9 mai 2017


Depuis toujours, les mouvements populistes ont adopté une communication directe avec l'électorat. En Suisse, les partis comme Vigilance, la Lega ou l'UDC s'appuyaient ou s'appuient encore sur un journal à forte audience.

La révolution numérique a bousculé les usages permettant la diffusion à moindres coûts des messages sur différentes plateformes. En cela, la réactivité et la simplification des nouveaux vecteurs sont une aubaine pour la rhétorique simpliste des populistes. Comptes Twitter, chaînes Youtube ou vidéos Facebook permettent désormais de s'affranchir des journalistes.

Sources

Voir bibliographie

RTS Découverte