Ikutaro Kakehashi

Grand Format

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Introduction

Avril 2017, Le monde des mélomanes et des geeks pleure l'une des plus grandes figures de la musique électronique, le père de Roland. "Audioguide" revient sur le parcours de ce visionnaire.

Roland, histoire d'une firme

Roland, ce sont bien sûr les célèbres boîtes à rythmes TR 808 et TR 909, dont on ne citera jamais assez l'importance dans les sons du hip-hop, de la house et de la techno. Ce sont aussi les gammes de synthétiseurs mythiques Jupiter et Juno - dont le son sillonne la synthpop des années 80.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 1 :

TR-909. Roland. [Wikimédia.]Wikimédia.
Audioguide - Publié le 8 mai 2017

Mais surtout, Roland et son fondateur Kakehashi sont les artisans, en collaboration avec l’ingénieur américain Dave Smith, de l'interface MIDI. Si cette technologie n’existait pas, il serait tout simplement impossible aujourd'hui de faire de la musique dans sa chambre.

MIDI, la Musical Instrument Digital Interface. [Wikimédia]

Culturellement, nous devons donc beaucoup à Ikutaro Kakehashi, lui qui a renommé en 1972 sa société du nom d’un célèbre poème épique médiéval français, la Chanson de Roland. Une référence involontaire, malgré ce qu’on croira pendant longtemps. Pour l'anecdote, Kakehashi était tombé par hasard sur ce nom dans un annuaire téléphonique. Il cherchait un nom en deux syllabes qui puisse facilement être prononcé par ses partenaires autour du globe. Roland était particulièrement pratique, d’autant plus qu’aucun autre fournisseur ne commençait par la lettre R.

Dans un Japon qui se reconstruit, il est essentiel pour la marque de se fondre dans un marché occidental. Ikutaro Kakehashi en sait quelque chose, lui qui, né en 1930, a connu les grands conflits de son pays, perdu son père à la guerre, et frôlé la mort, atteint d’une tuberculose grave.

Cela fait beaucoup d’émotion pour les fans de machines à musiques, de transistors et de savoir-faire à la japonaise - si bien que déjà en 2013, le fondateur de Roland avait reçu, avec Dave Smith le technical Grammy pour contribution à la musique électronique … à 84 ans.

Ikaturo Kakehashi. [Photo Roland Corporation]

Ikutaro Kakehashi

Si aujourd’hui la musique nous paraît aussi simple à produire, c’est parce que d’autres ont pris tous les risques, au péril parfois de leur vie. Ikutaro Kakehashi fait partie du club des génies miraculés de la musique. Agé de 15 ans, il connaît un double conflit, celui de la guerre contre la Chine, auquel s’ajoute la guerre du Pacifique contre les Américains. Kakehashi se voit forcé d’abandonner Osaka en ruines et ses études de chimiste pour le sud de l’archipel.

Mieux nourri, requinqué et libéré mentalement, il se prend alors de passion pour l'horlogerie, tout comme le fondateur de Yamaha presque un siècle plus tôt. Ce domaine, porté par l'arrivée massive du capitalisme, de la culture et de la musique américaines dans un Japon dévasté, est pour Kakehashi la première étape d’un parcours formateur qui passera par la lutherie et la réparation de radios.

Ikutaro Kakehashi, créateur des synthétiseurs Roland, en 2013. [Keystone - Kyodo News via AP]

Pendant de longues années, la diffusion de musique américaine avait été surveillée par une censure extrêmement stricte, qui ne diffusait que des chants patriotiques et des informations officielles. Pour Kakehashi, c’est une source d’émerveillement infini.

Laurent de Wilde, auteur de "Les fous du son.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 2 :

Drapeau japonais. [António Duarte]António Duarte
Audioguide - Publié le 9 mai 2017

Les effets du capitalisme et de la démocratie eurent un impact immédiat sur les Japonais, si bien qu’ils associèrent la culture occidentale à un véritable miracle. En 53 la population gagnait plus qu’à tout autre moment dans l’histoire du pays, et les salaires ne cessaient d’augmenter. En moins d’une décennie, les japonais devinrent d’heureux propriétaires de maisons truffées de gadgets … Le peuple japonais gagnait soudain assez pour se payer une assurance maladie privée, une mutuelle privée et sa voiture personnelle.

Julian Cope, spécialiste de culture japonaise.

Pour Kakehashi, l’excitation cède la place au désespoir, lorsque sa santé décline, et qu’il apprend qu’il est atteint de tuberculose. Pour soigner cette maladie encore très répandue à cette époque, il n’y a pas beaucoup de remèdes, si ce n’est se faire soigner dans un sanatorium, au grand air et au soleil.

Le poste de télévision au salon [TSR 1967]

Là encore, Kakehashi bien que très affaibli ne se laisse pas démonter. En 1951 il apprend qu’aura lieu la toute première diffusion télévisuelle au Japon, et il doit ab-so-lu-ment vivre ce moment historique, coincé, là-haut dans son sanatorium. Une seule solution s’offre à lui : se procurer le matériel nécessaire à construire son propre poste de télévision.

Ace Electronics

Ikutaro Kakehashi aurait pu n’avoir comme seul fait d’arme que d’avoir construit de ses propres mains un récepteur télé pour capter le tout premier programme japonais en 1951. Heureusement pour nous, le Ciel, si cher à la culture japonaise, en a voulu autrement. Malade de la tuberculose au dernier stade, Kakehashi va paradoxalement être sauvé in extremis en étant l’un des premiers patients sauvés aux antibiotiques.

En 54, le voilà sorti de l’hôpital. Kakehashi ne pense alors qu’à une seule chose: rattraper le temps perdu. Il ouvre un atelier de réparation de radios et télé, qui devient bientôt une manufacture qui élargit progressivement son activité aux cuiseurs à riz et aux machines à laver la vaisselle. Tout un autre bruit que les futurs synthétiseurs et boîtes à rythmes.

Mais sa passion le ramène toujours au son, et à ces fichus claviers inconnus au Japon avant Yamaha. Après avoir fabriqué un theremin dans son arrière-boutique, le voilà à présent tout affairé à reproduire un orgue hammond. C’est décidé, il se consacrera aux instruments électroniques, et fonde sa propre compagnie: Ace Electronics. A l’horizon, pointent les années 60, avec toutes leurs promesses, et le Japon est en première ligne.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 3 :

Ace Tone Rythm Age. [Ace Electronics]Ace Electronics
Audioguide - Publié le 10 mai 2017

Le Japon est vu avec méfiance aux Etats-Unis. Tout ce que les américains ont fabriqué, le japonais le vénèrent, le reprennent et l’améliorent. C’est exactement ce que fait Kakehashi sur le Side Man, la boîte à rythme de Wurlitzer. Il remplace les ampoules par des transistors, pour que l’objet soit moins encombrant et plus performant – voilà que naît en 62 l’Ace Tone Rhythm Ace, son premier pas dans le domaine de la musique.

Deux ans plus tard, Kakehashi fait le grand saut : il se rend sur la terre à conquérir, le continent américain. Au NAMM show de Chicago, la grand-messe des vendeurs d’équipements musicaux, il se fait regarder du coin de l’œil avec méfiance, mais parvient tout de même à en ressortir en ayant vendu huit machines, et trouvé un distributeur. Mais surtout, il sait désormais qui est en face de lui, de l’autre côté de l’océan ; et il sait maintenant, où il met les pieds.

Jupiter 8, le succès

La force d’Ikutaro Kakehashi, le fondateur de Roland, c’est qu’il comprend très vite que s’il veut prospérer dans le domaine de la manufacture de claviers, il doit sortir du marché japonais.

Car dans les années 60, celui-ci est verrouillé par Yamaha et Kawai. En 1972, une fois sa nouvelle société fondée, Roland, Kakehashi se lance dans un modèle de partenariat original: un partage des investissements à 50/50 entre lui, le fabriquant d’un côté, et de l’autre, le distributeur.

Cet équilibre a l’avantage d’installer une confiance et une collaboration inexistante chez les grands groupes. Dans cette même idée, il impose que ces partenariats se fassent avec des partenaires exclusivement locaux – donc pas avec une filiale, afin encore une fois d’éviter les grands groupes – et enfin, il impose une dernière clause à ses partenaires: le directeur doit être plus jeune que Kakehashi lui-même. La formule est gagnante: Roland perce de nouveaux marchés en Australie, au Canada, aux Etats-Unis et même à Taiwan.

En quelques années, Roland s’imposera comme l’un des fabricants d’instruments électroniques les plus importants. Le site pianoweb.fr a publié un article sur l’émulation qui s’installe alors entre le Japon et les Etats-Unis, pour créer un âge d’or du matériel électronique

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 4 :

V-Synth. Roland. [Wikimedia.]Wikimedia.
Audioguide - Publié le 11 mai 2017

Si personne ne ressort vainqueur pendant plusieurs années, à partir des années 80 tout va s’accélérer. Chaque six mois ou presque, les constructeurs japonais vont rivaliser d’ingéniosité pour proposer aux musiciens de nouveaux claviers toujours plus performants et toujours moins cher (enfin presque!). Le Jupiter 8 fera partie de ceux-là.

En plus d’avoir un son typique des années 80, le Jupiter 8 est irrésistible avec ses touches multicolores – on le reconnaît tout de suite ….

Tout cela est bien beau, mais Kakehashi pense au futur. Un futur dans lequel il y a de plus en plus de machines géniales, à des prix abordable. Le hic, c’est que ces machines, on ne peut pas les connecter entre elles. Il est temps pour lui de penser à unifier ce beau monde de synthèse …

L'interface MIDI

Les fans de Hip-hop et de techno diront sans doute que la plus grande réussite de Roland dans les années 80 aura été d’offrir au monde le son de la boîte à rythme TR-808 puis la 909.

Mais en 1983, un autre miracle de la technologie se produit: l’introduction du Musical Instrument Digital Interface (MIDI).

Le MIDI permet, grâce à un protocole, de faire communiquer entre eux des instruments de marques différentes: séquenceurs, samplers, logiciels, contrôleurs ou claviers.

L'interface est partout, sur tous les appareils électroniques liés à la musique. C’est un peu l’anglais des équipements musicaux: elle permet à tout le monde de parler la même langue et de se comprendre.

Fond noir.Fond noir.
Dave Smith, ingénieur. [Wikipedia/Pete Brown]

Et si cette technologie existe, c'est en partie grâce à Roland, mais c'est surtout grâce à l'Américain Dave Smith.

Dave Smith est une autre méga pointure du monde des synthétiseurs, un ingénieur californien passionné qui a oscillé dans sa carrière entre synthèse musicale et technologie aérospatiale.

Comment le MIDI est-il né?

Fond noir.Fond noir.

Une série proposée par Ellen Ichters pour l'émission "Audioguide" sur Couleur 3

Réalisation web: Camille Besse et Louise Saudan

mai 2017