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Michel Huissoud, le "shérif" des finances de la Confédération

A la tête du Contrôle fédéral des finances (CDF), Michel Huissoud a mis à jour de nombreux dysfonctionnements au sein de l'administration. Habile dans sa communication, le "shérif" de la Confédération a aussi ses détracteurs.

Michel Huissoud était fiché. Quand il démissionne du service de la Taxe professionnelle de la ville de Genève à la fin des années 80, Michel Huissoud postule à plusieurs postes au sein de l'administration fédérale. Sans succès. Il finit par découvrir qu'il est fiché en raison d'une distribution de tracts devant une caserne lors de son service militaire. Heureusement pour lui, le CDF ne demande plus de renseignement au Ministère public et il y est engagé en 1988. Ironie de l'histoire, c'est cette année-là qu'éclate le scandale des fiches, lorsqu'il est apparu que les autorités fédérales et cantonales avaient mis sous observation quelque 900'000 personnes.

Voilà bientôt trente ans désormais que ce Genevois de 59 ans occupe un bureau au 45, Monbijoustrasse, dans le centre de Berne, siège de cette institution chargée de contrôler l'administration. "Je vais chez les gens qui dépensent l'argent du contribuable", résume-t-il dimanche sur le plateau du 19h30 de la RTS.

>> Voir l'interview du 19h30 :

Michel Huissoud, invité du 19h30
Michel Huissod, invité du 19h30 / 19h30 / 3 min. / le 14 mai 2017

Multiplication des rapports

Entré en tant que collaborateur scientifique, ce passionné de voile et de marche en montagne a gravi tous les échelons du CDF, avant d'en être nommé directeur en 2013. "C'est un grand professionnel qui connaît extrêmement bien ses dossiers", dit de lui Raphaël Comte (PLR/NE), membre de la Délégation des finances, seul organe auquel le CDF doit véritablement rendre des comptes.

Trois ans à peine et Michel Huissoud peut déjà se prévaloir d'avoir dépoussiéré l'institution, la façonnant à l'image des puissantes cours des comptes allemande ou française. Alors que les rapports se comptaient sur les doigts de la main voici dix ans, le CDF en publie une moyenne de 35 par année depuis 2014. Des rapports pourvus de titres accrocheurs et illustrés avec des dessins de Mix & Remix. Les effectifs se sont également étoffés, atteignant 113 collaborateurs à fin 2016.

"Erreur d'appréciation"

Désormais, le CDF n'hésite plus à s'attaquer à des vaches sacrées telles que l'EPFL et son ex-président Patrick Aebischer (voir encadré), ou même au Conseil fédéral, dont il a par exemple critiqué la qualité des messages à trois jours seulement de la votation sur la RIE III.

>> Lire aussi : Le Conseil fédéral tancé pour la mauvaise qualité de ses messages

Nous publions nos rapports quand ils sont prêts.

Michel Huissoud au 19h30

La réforme est balayée dans les urnes. Critiqué, Michel Huissoud admet quelques jours plus tard avoir fait une "erreur d'appréciation" et présente ses "regrets sincères" au Conseil fédéral. "Nous publions nos rapports quand ils sont prêts", maintient-il au 19h30. Dans une récente interview à la Luzerner Zeitung, qui le présentait comme un "homme puissant à Berne", Michel Huissoud affirmait encore se battre "pour les contribuables".

Dans l'ensemble, l'administration travaille comme il faut, tient à souligner cet admirateur du Général Dufour. "Quand tout va bien, c'est une phrase dans nos rapports, indique-t-il. Quand on a trois reproches, c'est trois paragraphes."

Un rôle politique ?

Reste que cet activisme ne vaut pas que des louanges à celui qu'on surnomme "le shérif" financier de la Confédération. Certains lui reprochent d'être trop "présent médiatiquement" et de s'immiscer sur le terrain politique. En 2015, Guy Parmelin (UDC/VD), encore conseiller national, et Fathi Derder (PLR/VD) déposent une motion afin d'inscrire dans la loi "le devoir de réserve de l'institution". En vain. Nouvelle tentative et nouvel échec lors de la session parlementaire de février. Le Conseil national accepte même de renforcer son autonomie.

"Dans sa majorité, le Parlement est très satisfait", témoigne Raphaël Comte. A ses yeux, si le CDF s'est transformé, c'est parce que la société a évolué, elle aussi. "Aujourd'hui, tout le monde communique davantage, observe-t-il. Cela correspond aussi aux attentes des citoyens qui veulent plus de transparence."

>> Voir aussi l'itinéraire du contrôleur fédéral des finances :

L’itinéraire du contrôleur fédéral des finances
L’itinéraire du contrôleur fédéral des finances / 19h30 / 2 min. / le 14 mai 2017

Théo Allegrezza

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Principaux faits d'armes

2012 Le scandale Insieme

Le projet Insieme est un système informatique global voulu par l’administration fédérale des contributions afin de remplacer les programmes vieillissants de la Confédération. Après des années de tergiversations et pas moins de quatre rapports du CDF, Eveline Widmer-Schlumpf a décidé de l’abandonner en 2012. Plus de 110 millions de francs ont été gaspillés dans l'intervalle. Ce scandale a jeté une lumière crue sur les manquements de l’administration fédérale.

2014 Corruption au Seco

Pendant des années, un chef de secteur au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a attribué des contrats à prix gonflés à une entreprise informatique en échange de cadeaux. D’autres collaborateurs sont impliqués. L’affaire est révélée par la presse en janvier 2014. Quelques mois auparavant, le CDF avait bloqué un contrat de 22 millions francs. Le mandat n’avait pas été mis au concours. Le contrôle du CDF avait pointé des conditions d’attribution douteuses. L’enquête administrative diligentée par Johann Schneider-Ammann fera état d’infractions multiples ainsi que de failles dans la surveillance.

2015 Les EPF dans le viseur

Après avoir évoqué en 2014 les risques de l'essor immobilier de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour la Confédération et égratigné son président d'alors Patrick Aebischer, le CDF s'intéresse l'année suivante au Conseil des EPF. Il déplore que sa surveillance soit "limitée" et remet en cause le droit de recours devant les tribunaux dont disposent les EPF. Il observe aussi que son indépendance est amoindrie par la présence en son sein des présidents des deux instituts.

2016 La Fondation des immeubles pour les organisations internationales épinglée

Deux employés de la Fondation des immeubles pour les organisations internationales (Fipoi) à Genève sont dénoncés en raison d’un conflit d’intérêt. Le Conseil de fondation les licencie. Pas suffisant aux yeux du CDF qui sollicite un audit de la Cour des comptes sur “la gouvernance et l'éthique” de la fondation. Caviardés dans un premier temps, les résultats soulignent de graves manquements à la tête de la Fipoi. Le directeur et son adjoint sont remerciés.

2017 Risque de corruption chez Ruag

En février, le CDF met en garde contre le risque “considérable” de corruption chez l’armateur Ruag, dont la Confédération est l’unique actionnaire. Il s’inquiète de possibles contournements des restrictions suisses à l’exportation. Une visite de contrôle sur un site à l'étranger a montré qu'aucune mesure suffisante n'avait été prise pour "circonscrire le risque de corruption considérable encouru sur place".